IL N'EST PAS CELLE QUE TU CROYAIS...

JE NE SUIS PAS CELLE QUE... PAUL DAUNAY
LE TROTTEUR / SUPER ROMAN NOIR # 2, 1953
FALLAIT PAS COMMENCER, MICKEY SPILLANE
PRESSES DE LA CITÉ / UN MYSTÈRE # 54, 1951

Dans Fallait Pas Commencer de Mickey Spillane (Vengeance Is Mine en V.O.), notre detective sur-violent favori, Mike Hammer, découvre à la toute dernière page du roman que Junon - et tu ferai mieux de t'arrêter là si tu n'as jamais lu ce chef d'oeuvre et que tu compte réparer ton erreur un jour, fils - que Junon, disais-je, la femme fatale de l'épisode, n'était pas une femme mais... un homme !
Ou plutôt : Un travelo. Un déguisé. Un salingue à faux roploplos et vrai zigouigoui mais tout maquillé et pomponné comme une gonzesse tendance impasse de la 42e rue tard dans la nuit.
" Nom de Dieu, je le sentais depuis le début, mais c'était tellement incroyable. Moi, un gars qui aime les femmes, qui connait toutes leurs astuces... et je donne dans le panneau ! "
Bien entendu, de la part de Spillane / Hammer, fameuse combinaison où auteur et personnage se montrent tous deux aussi brutaux, misogynes, racistes et homophobes l'un que l'autre, le résultat est pour le moins grotesque.
220 pages durant, et splendidement traduit par Gilles-Maurice Dumoulin (le meilleur, dans le genre hard-boiled), voila notre binôme de bourrins qui en fait des tonnes sur les invertis, ces dégénérés du slibard, et navigue dans une ambiance de New-York interlope à la sexualité poisseuse et où la répulsion ressentie au sein des bars à lopettes le dispute à l'attirance coupable pour cette mystérieuse vamp de la jaquette flottante.

En quelque sorte, Fallait Pas Commencer s'affirme inconsciemment comme un vrai texte malade, gavé de non-dits, de sous entendus mal-digérés (par l'auteur ?) et dans lequel, finalement, le héros, alpha-mâle tellement droit dans ses bottes qu'il en ferait passer le conformisme pour une déviance digne de la potence, manque de succomber aux charmes d'un mecton camouflé en nénette.
On se marre, on a raison.
D'autant plus que la légende veut que Fallait Pas Commencer soit né d'un défi, Spillane ayant parié à son éditeur qu'il pouvait lui livrer un roman dont la dernière phrase serait si essentielle que, retirée du texte, ce dernier en perdrait alors tout ses moyens.
Je veux dire : tout son sens, toute sa sève, toute sa raison d'être.

Bien entendu, Mickey gagna, la dernière phrase du bouquin étant " Junon était un homme ! "
Sacré roublard, va !

Quant au thème du travestissement, on le retrouvera deux ans plus tard dans une œuvrette française, Je Ne Suis Pas Celle..., signé Paul Dauney et paru aux éditions du Trotteur, collection Les Grands Romans Noirs, série Magnum.
Dans ce roman, Georges Galuret, employé d'une agence de detective privé et beau garçon de sa personne ("...les gens ne se gênent pas pour dire que j'ai tout du pédé ou de la gonzesse, ce qui n'est pas vrai, je le jure "), enquête sur les malversations d'un certain Jojo mon Ange, homosexuel notoire adepte du chantage à caractère douteux et qui, 340 pages plus tard, se révélera en fait être la patronne de notre héros, madame Pomme (" elle en a vue des vertes et des pas mûres, c'est le cas de le dire ") que le lecteur, pas poire pour un sou, avait soupçonné dès le départ à cause de la tendance que cette greluche (mais peut-on encore le/la qualifier ainsi ?) avait à se maquiller comme un camion volé.
Voila pour l'intrigue.
Ce n'est pas folichon et c'est bien triste car l'auteur, Paul Daunay, n'écrit pas si mal que ça et mitonne de temps à autre un argot de bristroquet pas dégueulasse, à base d'insultes et d'expressions désuettes.
" Tiens, petite tante, passe-toi ça dans les gencives ! "
On y déniche même l'espace de quelques instants une fantaisie évoquant lointainement le Baby Tiger Joue et Perd de Gabriel Guignard en la présence d'une triplette de reporteurs calqués sur les Marx Brothers (mais écorchés par l'auteur : ils sont trois et se nomment Apo, Groucho et Max) et d'un couple de zazous musiciens adeptes de partouses mondaines et de symphonies louftingues.
Malheureusement, le gros défaut de ce roman est de peser le triple de ce qu'il aurait dû être. 350 pages, c'est beaucoup trop pour un polar sexy envoyé à l'arrachée. 180 pages, ça m'aurait déjà semblé un peu large, c'est dire !
Quant à l'évocation du travestissement et de l'homosexualité, bien que fil conducteur de l'enquête, il ne dépassera pas le simple paragraphe à la quasi fin du volume.
L'amateur de carnaval l'aura donc compris : mieux vaut préférer le naturisme.

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