LES AVENTURES DE DRACULA # 1

La journée s'annonçait merdique comme à son habitude lorsqu'au fin fond d'une bouquinerie snob des hauts de Ixelles, dans un recoin sombre et mal-entretenu comme le cul d'une rombière aux soixante-dix berges bien tassées, je me dénichais l'intégrale des Aventures de Dracula.
Quasi-intégrale plutôt, puisque le numéro # 9 pointait aux abonnés absents mais qu'importe, cette dérobade n'allait pas ternir mon embellie. Je me retrouvais enfin avec la quasi-intégrale des Aventures de Dracula dans les pognes !

Ce qui savent de quoi je cause en ont surement déjà quelques bouffées de chaleur. Pour les autres, les cavedus de la bibliophilie perverse, les attardés du roman populaire dégénéré, je vais m'empresser de développer.

Vers le milieu des années soixante, mon éditeur filou favori, André Guerber, alors exilé en Italie, lançait sur le marché français sa toute nouvelle maison d'édition : Bel-Air. L'aventure durera 5 ans, de 1963 à 1968. On y trouvait du polar (Detective Pocket), du western (Western Pocket), du photo-roman à la Satanik (Lord X) et une collection de récits d'horreur, Les Aventures de Dracula, alias Dracula Pocket, adaptations françaises des Racconti di Dracula, série soi-disant culte chez nos amis ritaux.
Comme l'écrit Sergio Bissoli : "I Racconti di Dracula, Prima Serie sono diventati rari, introvabili e i collezionisti pagano milioni per averli."
Traduzionne : c'est rare, introuvable et les collectionneurs sont prêts à débourser leurs millions pour s'en alpaguer un.
Les cons.
D'autant plus cons que ma pomme, elle s'est dégauchi la quasi-intégrale à un blot qui fait passer la conserve de cassoulpif carrouf' discount pour une tambouille de luxe servie en queue de pie chez les trois gros.
25 centimes la pièce, 2 euros 75 le pacsif.
Sur le coup, y'avait pas à dire, les misères de l'existence, je les relativisais sévère. Mais trêve d'auto-fiction. T'es pas venu pour ça et je n'ai pas que toi à foutre.
Reprenons.
Car il y a quelque chose de primordial à bien s'imprimer dans la binette au sujet de cette collection, c'est que ça a beau s'appeler Les Aventures de Dracula, du célèbre suceur de sang, Bram Stokesque, Bela Lugosesque ou encore Christopher Leesque, tu n'en apercevra pas la moindre proéminence dentaire.
Dracula ? C'est bien simple, l'est pas là, repassez plus tard.
En fait, c'est un peu comme les faits divers au père Bellemare, ceux là même qui sont compilés en bouquins pour mémés chez Albin Michel. Le Pierrot, il apparait peut être en couverture mais dans le texte, ce sont d'autres gonzes qui se font écraser par des voitures, mastiquer par des clébards ou voler par des loubards.
Mais tout le charme des Aventures de Dracula ne saurait être réduit à cet amusant subterfuge éditorial. Il se trouve ailleurs : dans le format des romans (tout fins, en 17,5 par 10,5), dans leurs couvertures clinquantes (les 4 premières sont signées James Hodges, la suite est assurée par des Italiens) et surtout dans ce style d'écriture propre aux éditions Bel-Air, cette prose si particulière qui fait qu'entre six fautes d'orthographe, trois problèmes typographiques et douze inversions grammaticales, les personnages déroulent leurs activités, demandent de l'aide à l'externe, donnent des élucidations ou encore se disent affectionnés à un endroit.

Une légende voudrait d'ailleurs que nombreux soient les professeurs de français ayant succombé à la lecture d'un roman Bel-Air - certains se sont suicidés, d'autres peuvent encore être approchés dans des asiles aux couloirs tortueux... pauvres bougres lobotomisés, victimes bavotantes d'une sous-litterature radioactive, on les reconnait à leur manie de recopier sans cesse les même passages sur les murs de leur cellule tout en essayant vainement d'en corriger les erreurs, les membres agités des tremblements spasmodiques caractéristiques d'un sevrage trop intense.


Car Les Aventures de Dracula, en plus d'être de courts bouquins mal torchés et mal traduits, sont aussi des textes qui (comme bien d'autres productions André Guerber) s'essayaient à une forme sournoise de marketing pour lecteurs alcooliques.
C'est bien simple : toutes les marques de bibine consommées par les protagonistes s'y voient inscrites en grosses lettres capitales.

CINZANO ! DUBONNET ! ZIZI COIN-COIN !
(Pardon, je m'emporte... le zizi coin-coin n'existait pas encore à l'époque...)
Enfin, bref, t'as compris le truc. Et moi j'ai soif. Pour citer Roger Duchesne dans son grand classique Faut Les Avoir Accrochées, ce billet, c'est "un véritable chemin de croix avec la différence que c'est ma soif que je traine, moi."
Mais reprenons. Bis répétita.
Et attaquons nous méthodiquement aux quatre premiers romans parus dans cette collection.


TERREUR AU CHATEAU, MAX DAVE
ÉDITIONS BEL-AIR / DRACULA POCKET # 1, 1966

Une marquise recluse, Alba d'Aragon, invite dans sa demeure, un château perdu au fin fond de la campagne anglaise, ses héritiers afin de leur faire part de ses décisions testamentaires.
Mais la nuit venue, le château est en proie à une série d'événements étranges. Les pleurs d'une mystérieuse petite fille raisonnent en écho dans ses couloirs et certains héritiers en viennent à décéder violemment. Il y a ceux qui meurent de peur et ceux qui chutent d'une corniche après leur promenade digestive.
Chouette ambiance !
D'autant plus que Gustave, le majordome, semble connaitre la vérité mais préfère ne rien dire. Albert, un héritier malpoli, le soupçonne d'ailleurs de vouloir faire main basse sur le magot.
Et pendant ce temps, Grant joue aux échecs, Georges et Betty s'aiment tendrement et Charles, le seul non jean-foutre du coin, mène l'enquête à la vitesse d'un escargot de course.


Comme entrée en matière dans la collection, voila une Terreur au Château fort peu folichonne. Toutes les tares du roman Bel-Air s'y trouvent concentrées (récit idiot, remplissage de paragraphe éhonté, personnages sans saveur, confusions en tout genre et tournures de phrases aussi confuses que l'esprit d'un dyslexique saoul...) et pourtant, on ne s'y amuse pas un seul instant.
La faute à cette histoire à dormir debout, mollement raconté, souffrant d'un rythme apathique et d'une absence totale d'excès. Du sang, de la folie, des monstres et du sexe ? Non, juste deux pauvres fantômes au désir de vengeance pas très clair...
Reste, heureusement pour nous, cette marque de fabrique Bel-Air : les publicités pour boissons alcoolisées intégrées au récit. Ici, c'est DUBONNET qui est chouchouté - même si, page 11, le CHAMPAGNE CREMANT est brièvement évoqué et qu'en page 95, un petit CINZANO se fait déguster.
SANTÉ !


LE SOSIE INFERNAL, MAX DAVE
ÉDITIONS BEL-AIR / DRACULA POCKET # 2, 1966

Cette fois-ci, par contre, c'est la bonne. Le moteur à conneries est lancé.
"Peut-il un homme faire la copie exacte de lui-même ? " demande une quatrième de couv' aussi - hips - noire que son fond est rouge.
"Peut-il un roman faire mieux que le précédent ? " ai-je envie de rajouter, en ouvrant - prost ! - une nouvelle KAISER PREMIUM BEER. Et la réponse ne se fait pas attendre. Elle est affirmative. On le sent dès la première page : Le Sosie Infernal sera aussi atterrant qu'enthousiasmant.
Un régal faisandé. Une pâtée pour fin gourmet.


Le héros de cette histoire, narrateur première personne du singulier, se nomme Robert. Bob pour les intimes. Alors qu'il se remet difficilement d'une douloureuse rupture sentimentale ("c'était une petite putain, pourtant j'étais amoureux d'elle..."), le voila qui est contacté par son vieil ami Martin Hogarth, un scientifique qui procède à d'étranges expériences dans son château des Highlands écossaises.
Bob s'empresse donc de rejoindre Martin, visite son labo ("mais c'est un laboratoire atomique - dis-je abasourdi."), y retrouve d'anciennes connaissances, se verse une petite rasade de ZINZANO (sic) BLANCO et, surtout, y apprend avec effarement les recherches auxquelles s'adonne désormais son vieux pote : le clonage !
Ou plutôt, comme cela est écrit dans ce roman : la copie d'êtres humains.
Copies d'êtres humains qui, comme de bien entendu, vont dévier et devenir mauvais. Mais si l'on s'imagine la suite prévisible, c'est sans compter ce gros plaisantin de Max Dave qui, passé le premier tiers de son œuvre, fait apparaitre un esprit maléfique, le fantôme revanchard d'un ancien châtelain, une saleté d'ectoplasme qui souhaite dominer le monde et compte y parvenir en dirigeant une armée de clones.
"Je me sentis suffoquer; le programme de cet être diabolique, invisible, était trop clair; créer une quantité de sosie à en faire un bataillon d'assassins."
Retournement aussi ahurissant que crétin. Et la suite tient le rythme. Max Dave en oublie même d'exécuter le traditionnel numéro des histoires de clone (lorsqu'une copie en arrive à remplacer l'original sans que l'entourage de ce dernier ne s'en rende compte), préférant agiter ses sosies comme de vulgaires zombies.
Pas de finesse, pas de subtilité. Que du bonheur pour les esprits mongoloïdés à la sous-contre-culture que nous sommes.

Notons, en guise de conclusion que le personnage principal et sa compagne réapparaitront dans le numéro # 6 des Aventures de Dracula, L'Homme de l'Au-Dela, pour y éclaircir un mystère resté en suspend à la fin de ce roman, celui du feu follet qui aide le héros à combattre le vilain fantôme...


LES LOUPS DE LA VIOLENCE, MICHAEL SHIOLY
ÉDITIONS BEL-AIR / DRACULA POCKET # 3, 1966

Volume le plus atypique de toute la série puisque bien écrit et mené en main de maitre, Les Loups de la Violence n'aurait certainement pas dépareillé dans la collection Angoisse des éditions du Fleuve Noir.
Rien à voir avec votre Bel-Air habituel. Même le DUBONNET et le CINZANO n'y jouent qu'un tout petit rôle - certainement casés à la va-vite et après redaction par l'éditeur.
Aurait-on, du coup, non pas affaire à une traduction empressée d'un roman italien mais bien à un texte fourni par un auteur français ? C'est ce que semble affirmer Claude Herbulot sur le forum À Propos De Littérature Populaire, donnant par là même le nom de Guy de Wargny comme signataire de ce Loups de la Violence.
Difficile d'ailleurs d'en douter en lisant, chapitre deux, cette description saisissante d'un château (encore et toujours) écossais :
"Nous avons devant nous les éléments les plus contrastant de la vie même, sans le secours d'une figure... sans fiction, ni la présence d'un être vivant ! De la misère qui couve dans l'obscurité méphitique de la Vallée Noire, à la splendeur d'une aspiration atteinte, comme les tours du château qui font un déluge de lumière..."
Nous sommes loin, très loin, du scribouillage malhabile auquel les éditions Bel-Air nous ont habituées. Et il en est de même pour l'intrigue, prenante et adroitement menée, opposant dans une région en proie aux superstitions deux couples d'amis un tantinet bohème à une femme vampire à la beauté fascinante.
La première partie est excellente, la suite manque vaguement d'entrain et le final recourt à la figure fatiguée du rêve prémonitoire mais le tout s'affirme néanmoins comme un fort beau roman de fantastique populaire.
Avis aux amateurs : ces loups de la violence sont véritablement à redécouvrir !


LE MONSTRE DE PRESTON, MAX DAVE
ÉDITIONS BEL-AIR / DRACULA POCKET # 4, 1966

Le grand retour de Max Dave après l'interlude de Wargny et c'est encore une fois l'écosse, sa campagne, ses châteaux et ses affaires d'héritages qui sont à l'honneur.
Maintenant, soyons clair et faisons vite.
De cette première fournée de quatre titres, Le Monstre de Preston constitue la lecture la plus éprouvante. L'auteur semble même s'en rendre compte - c'est dire ! - puisqu'il fait prononcer par le narrateur ce terrible aveu :

"Je dois vous confesser n'être pas très capable de raconter des histoires, même si cette nuit, j'ai décidé de le faire !"
Du fait, cette histoire, nous ne la comprendrons jamais vraiment. Inutile que je résume. Le Monstre de Preston, c'est 160 pages d'une confusion totale, sans enjeux, sans tension, sans aucun rebondissement et que l'auteur tentera en vain d'éclaircir en faisant appel à cette fameuse substance illicite qu'est le haschich.
"Un terrible stupéfiant qui, s'il est fumé, peut provoquer des cauchemars terribles à ceux qui ne sont pas habitués à son usage !"
Bref, rien à voir avec la joyeuse crétinerie du Sosie Infernal. Rien à voir non plus avec cette agréable surprise qu'était Les Loups de la Violence. On en vient même à regretter l'ennui poli du Château de la terreur. C'est dire si ce Monstre de Preston est à éviter...

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La suite des Aventures de Dracula le mois prochain avec les numéros # 5, 6 et 7 de la série : Le Piege du Diable, L'Homme de l'Au-Dela et... Le Chat Noir (!!!)

Ah, c'était vraiment des p'tits rigolos, les mecs de chez Bel-Air !

(et un précédent billet concernant le consternant numéro # 11 peut être ligoté ici :
http://muller-fokker.blogspot.com/2008/09/la-maldiction-de-nostrablairus.html)

5 commentaires:

Zaïtchick a dit…

Dracula, que de meurtres commis en ton nom !
(C'est quoi le zizi-coin-coin ?)

Frédérick a dit…

Ben tiens !

Je m'étais acheté le tome 1 l'an dernier, livre que j'avais lu sans beaucoup d'exaltation. En gros, j'avais trouvé ça insupportable, une fois passé le choc initial. En effet, il ne se passe pas grand-chose au Château titulaire. À un point tel que j'avais définitivement casé cette collection sur l'étagère des sinistrés.

Ton avis sur le # 3 me redonne donc espoir. Curieux de lire ton avis sur les autres opus, le moment venu.

ROBO32.EXE a dit…

Zaït' : Le zizi coin coin, c'est une boisson belge, un mélange de citron et de cointreau. Tout l'intérêt de cette boisson, à mon sens, réside dans son nom.

Frederick : Le # 2 est pas mal non plus, dans le genre "lecture coupable."

Kerys a dit…

Le pire, c'est que j'ai vu cette étrange boisson aujourd'hui mêm, dans un supermarché de Courtrai ou j'allais me ravitailler en eau ferrugineuse Belge après un festival !
Hasard ? Synchronicité ? Le poil de nez du destin ?

Von Drak a dit…

"Les pleurs d'une mystérieuse petite fille raisonnent en écho dans ses couloirs", j'adore ! Ca y est, te voici contaminé ! Encore un coup du Zinzano ;-)