TOUT DANS LA BARBE !

LE BARBU MÈNE L'ENQUÊTE, M. VARDAR
LE BARBU CHEZ GAGARINE, M. WARDAR
PRESSES INTERNATIONALES / ESPIONNAGE # 2, 1962
LIBRAIRIE DE LA CITÉ / LE CARIBOU # 55, 1963

Il est breton et poilu, se nomme Paul Kerbatten, surnommé "Le Barbu," immatriculé "2.002," ex-agent du renseignement pour la résistance française lors de la seconde guerre mondiale. Son physique est vaguement adipeux ; son comportement pour le moins étonnant.
"Sous des dehors blagueur, vous êtes un agent consciencieux, bien que porté sur la boisson ! " le tance le Commandant Radiguet, son chef de service.
Blagueur, c'est certain. Porté sur la boisson, c'est peu dire. Passionné de Pernod et pilier de nombreux comptoirs parisiens, Kerbatten collectionne les adresses de rades comme d'autres les numéros téléphoniques de petites poulettes.
Les deux syllabes de son surnom, d'ailleurs, ne mentent pas : le Barbu boit dans des bars et c'est ainsi que débute l'action de son premier forfait, le Barbu Mène L'Enquête.
Chapitre premier. Kerbatten, alors retiré du métier d'espion et versant dans un journalisme aux piges de dilettante, s'enfile peinardement des glass d'anisettes dans un bistroquet de la rue Vieille-du-Temple lorsque l'on manque de l'y dessouder à la manière du Chicago des années 30. Staccato d'arme à feu sur la vitrine. En individu avisé, notre héros chanstique donc d'établissement mais rebelote ! à peine installé au zinc et c'est une nouvelle séance de tir aux pigeons qui démarre !


"Si on mitraille dans tous les endroits où je vais boire un verre, ils vont avoir du travail, les gars..."
Les gars en question, ce sont les agents du C.I.E., Centre International d'Espionnage, un organisme indépendant dirigé par d'anciens nazis de l'Abwher et qui court après un mystérieux carnet répertoriant les noms et adresses des principaux agents secrets occidentaux.
Du grand n'importe quoi, comme prémices, mais du grand n'importe quoi fonctionnel, du grand n'importe quoi qui carbure... et qui carbure d'autant plus que, si le Barbu connait la cachette du dit carnet, c'est surtout abwher, abwher, abwher, c'est abwher qu'il lui faut !

Ainsi, et afin de ne plus être dérangé dans ces activités d'ivresses quotidiennes par les pétarades intempestives des automatiques ennemis, Kerbatten reprend du service à la S.D.E.C.E. et se lance dans le dézingage en série de ses ennemis.
La suite est assez épatante, tant le roman réussi à concilier le ton froid des récits d'après guerre avec la personnalité cocasse, atypique, un brin grotesque de son barbu de héros.

"Quand on fait de l'espionnage, il ne faut pas être gros comme un poussah, ni se laisser pousser la barbe..." déclare une mata-hari aussi soviétique que péremptoire à un Paul Kerbatten déjà bien imbibé et qui n'a que faire de l'avis d'une gonzesse.
Car, comme il l'affirme lui-même,
"un breton, tu ne sais pas ce que c'est. Ça boit, mais ça a le crâne solide... Alors, bas les pattes ! "Et de se lancer, après avoir correctement dérouillé la morue, dans un périple fort chaotique sur fond de terroir et de routes nationales, en compagnie d'un maquereau de seconde zone et armé d'un soufflant d'occasion.
On oscille constamment entre l'humour un tantinet grassouillet des polars d'alcooliques (notre homme adoptant parfois la fausse identité de Bébert le Tatoué, c'est dire !) et le sérieux gris et dur des récits d'agents secrets en imper' mastic.
Dans l'ensemble, on est jamais bien loin de l'atmosphère paranoïde, nostalgique et douçâtre dans laquelle baignait L'Espion Va À Dame d'Alain Moury, dans laquelle baignait aussi certains romans de Frédéric Charles au Fleuve Noir.
Des références de grand standing.

L'année suivante, Kerbatten connaitra une seconde (et ultime) aventure, Le Barbu Chez Gagarine, à la qualité diantrement inférieure. Sur la couverture, l'auteur doublait le "V" de son pseudo - passant ainsi de M. Vardar à M. Wardar - et à l'intérieur du bouquin, le héros, dans le seul but d'infiltrer incognito les principaux centres de recherches et de renseignements soviétiques, perdait ce primordial attribut facial qu'était sa barbe.
Le résultat, comme presque tous les romans d'espionnage se déroulant derrière le rideau de fer, est assez ennuyeux. La faute à ce respect d'une schématique de voie ferrée, entre aller et retour, entre intrigues moscovites à rallonge et trahisons d'honorables correspondant, entre alliances de circonstances et fuite dramatique vers l'ouest.
Un programme que l'auteur résume en une courte ligne, page 135 :

"En somme, le Barbu faisait son petit Michel Strogoff à rebours..."
Mieux vaut en rester là.

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