APRÈS LES FAUVES...

LE FESTIN DES CHAROGNES, MAX ROUSSEL
ÉDITIONS DU SCORPION, 1949

À l'extrême limite du spectre glauque des romans noirs de l'après guerre, dans la fange, la boue et les immondices, opérait Max Roussel.
Max Roussel ?
Un fou, un anarchiste, un illuminé, un mystère de vieux papier.
Qui était-il ? Personne ne sait. Sous le nom de Ernst Ratno, il publia le fameux Ne Sont Pas Mort Tous Les Sadiques, apocryphe apocalyptique des littératures souterraines, avant de sortir aux éditions du Scorpion, perdu entre les crachats de Vernon Sullivan et les nausées de Maurice Raphaël, ce Festin des Charognes, véritable chancre purulent du genre, unissant horreur et dégout en une même haine désespérée de l'espèce humaine.
"Car je vous le dis, en vérité. Nous étions aussi les enfants de la Joie et de l'Espérance. Nous étions aussi les adolescents des pures tendresses humaines et des foyers aux bonheurs tranquilles. Nous étions aussi les hommes fraternels des mondes meilleurs qui s'espèrent. NOUS NE VOULIONS PAS CELA... PAS CES HÉCATOMBES DE L'HORREUR... CES CARNAGES IMMONDES... CES DESTINS CRUCIFIÉS..."
Éclosion de fleurs fiévreuses en une errance glaciale, comme un travelling en enfer.
Le destin du personnage principal, Siegfried, s'inscrit en parallèle du sillon sanglant précédemment tracé par Johan dans Ne Sont Pas Morts Tous Les Sadiques. Il hante des ruines, tue pour survivre, sombre dans la démence.
Siegfried et Johan, ce sont les deux faces d'une même pièce, petit théâtre morbide qui partagerait le même décor évocateur, ce Berlin jamais nommé mais aisément discernable, ce Berlin qui a gouté au Feu et au Fer avant de chavirer dans l'anéantissement, ce Berlin qui n'est plus qu'une gueule cassée, une ville cauchemardeuse abritant des loups rachitiques aux dents ébréchées, futurs cadavres à la putréfaction déjà apparente.

Roussel taille le paysage comme un expressionniste allemand, explose parfois le cadre en d'abrupts blocs de majuscules éructantes. L'écriture y est obsessionnelle, les même mots constamment remâchés, recrachés, hurlés, en salves cataclysmiques - "...CAR JE VOUS LE DIS, EN VÉRITÉ : AU FOND DES TANIÈRES CREUSÉES SOUS DES MONDES ÉCROULÉS, LÀ-MÊME SE CONSOMMENT AUSSI DANS LES NUITS DE MEURTRES, LES FESTINS HUMAINS..." Et ce cri déchirant, ce cri qu'il pousse 180 pages durant, augmente sans cesse en intensité, de ce mouroir d'anonymes baptisé hôpital ("cette merde plus chaude") à ce baraquement clandestin où le docteur Krâmer fabrique des estropiés en série ("Eh! oui, ça se vend bien, tu sais..."), jusqu'à ce sabbat paroxysmique qui convoque l'obscure métaphysique de "ce radium spirituel que sont les connaissances occultes" pour anticiper d'un quart de siècle la romance luciférienne du Copula Cum Daemone de Hubert Burger.
"Au festin des charognes, combien de fois encore lui faudrait-il être ce convive inattendu ?"
Un guignol grimé en noir et rouge vous interpelle et nombreux sont ceux qui resteront sur le carreau, percutés de plein fouet par cette violence jamais contenue, perdus dans cette décharge barbare aux remugles enivrants. Vif périple dans l'atroce et la fureur d'un temps de paix qui n'est que guerre masquée, Le Festin des Charognes secoue, remue, agite. Une œuvre outrancière, et néanmoins doté d'une lucidité cafardeuse. On pourrait la parcourir éternellement, ne jamais s'arrêter de la lire. "Le Cimetière sans clôture et sans horizon des vivants terrorisés, volé au Cimetière sans sépulture et sans croix des morts terrorisés." C'est beau et bancal comme du Jean Rollin et le cinéaste ne s'y trompa d'ailleurs pas puisqu'il le réédita dans sa collection Les Anges du Bizarre.
Alors, Max Roussel, le Festin des Charognes ?
Un essentiel excentrique, assurément.
Un classique extravagant, certainement.
Dans tous les cas, un vrai roman commotionné, indispensable à tout bibliophage désaxé.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Il y a quelque chose de Lovecraftien dans le style de Roussel (emploi à outrance des superlatifs, écriture obsessionnelle, allusion à ce qui est sous-terre...) mais l'univers est différent

Merci pour cette découverte
Yann

GayKitschCamp a dit…

un autre Max Roussel vient d'être réédité aux éd. QuestionDeGenre/GKC.
Voir leur catalogue sur
http://gaykitschcamp.blogspot.fr

Ernest Ratno [Max Roussel], Ne sont pas morts tous les sadiques (1948)

TENDRESSES FATALES. Dans les ruines d’une grande ville allemande bombardée, Johan, un jeune homme de 24 ans, crève da faim et de solitude. Il s’attache très vite à un adolescent de passage, William, qui l’amènera dans sa « forêt ». Là, William dirige une tanière où, secondé de sa femme, Edma, il livre à la prostitution sa sœur, Marlène et un garçon déguisée en fille, Georgie, qu’il terrorise ; le tout au son de l’accordéon joué par un enfant aveugle, Frantz. Bientôt lassé et surtout écœuré, Johan, qui a dû s’y mettre aussi, mais rendu lucide par un visiteur, massacre ce beau petit monde et revient en ville.

Là, il profite de son poste d’« entraîneuse » dans un bar gay de Berlin, « Le Bilboquet », pour étancher sa soif de sang parmi la clientèle nocturne et commence une carrière de serial killer. Il y est remarqué par un anarchiste activiste qui le conduit à perpétrer des attentats. Autre désillusion.

Une dernière et définitive visite au « Bilboquet » terminera en feu d’artifice cette succession trépidante de scènes d’horreurs et de tendresses fatales.
C’était hier. C’est encore aujourd’hui.

Le roman noir le plus (homo) érotique de Max Roussel, l’auteur du Festival des charognes (1949) :

[extrait] : « L’adolescent restait toujours agenouillé. À chacun de ses souffles, ses reins se cambraient, ses fesses remontaient plus ouvertes et ses cuisses, pleines comme celles d’une femme, éprouvaient leur souple élasticité.
La rougeur des flammes sur le corps poli comme un marbre faisait mieux ressortir les jeux resplendissants des muscles fins et allongés.
Jamais encore il n’avait vu un corps d’adolescent d’une blancheur aussi laiteuse.
Il dit simplement, malgré lui :
— Tu es très beau, William. »