BADABOUM SURPRISE !

EFFACEZ LES BARRAGES, IGOR VALAK
LE CARIBOU # 84, 1964 ou 1965 (?)

Il est riche, il est beau, il est libre comme l'oiseau.
Qui ? Lui ! Lui, l'espion one-shot, l'agent free-lance. Ses dents sont blanches, ses yeux sont bleus, il n'a pas de nom mais échappe à l'anonymat grâce à deux petits détails : ces amis le prénomment Pierre et ses employeurs l'immatriculent K2.
Et c'est d'ailleurs exclusivement sous ce sigle rudimentaire – une lettre, un chiffre, score minable au scrabble – que l'auteur le désigne 180 pages durant.
Résultât : des ribambelles de K2 par-ci et de K2 par là. Jamais matricule d'espion ne fut autant sur-employé.
K2 qui fait du ski et K2 qui prend l'avion, K2 qui roule en jeep et K2 qui drague des filles, K2 qui bastonne des affreux et K2 qui mousse dans l'eau.
Ne rions pas. Ce dernier point est essentiel. Notre homme est un assidu de la fréquentation des salles de bain. Il passe des paragraphes entiers à se récurer la couenne à grands coups de savonnette avant de se l'assaisonner à l'eau de Cologne tout en se désaltérant d'un mignon petit thé citron.  Mais gaffe à la berloque ! C'est pas une gonzesse, le K2, non, c'est un espion hyper-hygiénique, une barbouze gravure de mode, «un étrange mélange de dureté et de raffinement.» Et l'auteur de conclure : 
« En lui on retrouvait toute la philosophie de l'Occident et de l'Orient confondus. »
Mais au diable le raffinement, passons à la dureté !
Car dans son genre, l'agent K2 est un expéditif et, lorsqu'il s’attèle à l'interrogatoire d'un suspect, le voilà qui donne dans le musclé. K2 frappe, K2 tord, K2 brise et K2 coupe, sans pitié, sans remords... et sans preuves !
« Vous m'accorderez que, si on attendait d'avoir des certitudes, les 8/10 de tous les salopards du monde seraient toujours en liberté. »
On lui accordera surtout qu'avec une intrigue aussi balisée que celle d'Effacez Les Barrages, sa seule et unique aventure, K2 avait assez peu de chance de se tromper de cible.
Suivez la flèche, les vilains font la queue-leu-leu pour goûter au jus de phalanges et de plomb brûlant que notre héros leur distille avec la générosité de l'agent secret en goguette punitive. 
Paf ! Bam ! Boum ! On nage dans les basses eaux du roman populaire écrit à la va-vite, 24 chapitres que l'on imaginerait parfaitement retranscrit au format du fotonovela.
Et pourtant, pourtant, en dépit du style ultra-rudimentaire de l'auteur, de ses accents grandiloquents, de cette manie qu'il a de qualifier les nord-Africains d'Asiatiques (???), en dépit aussi de l'esprit jouissivement bis de son scénario (les femmes sont toutes des nymphomanes à fortes poitrines, un méchant se voit qualifier d'«expert en hypocrisie sournoise,» la fusillade finale ressemble à une bataille de soldats en plastoc...), Effacez Les Barrages surprend en adoptant un ton pro-tiers-mondiste.
La flèche était un leurre et l'idéologie en noir et blanc goûte enfin à la couleur.
«– Les Africains qui attaquent l'Amérique... c'est une histoire de fous !» s'exclame un agent de la C.I.A. Histoire de fou ? Pas vraiment. 
Car, comme le déclare le (faux) méchant Arabe avec lequel K2 finit par s'allier :
« Je voulais donner une leçon aux puissances du monde. Leur faire comprendre qu'on ne jouera pas toujours impunément avec notre faiblesse. »
Morale rafraîchissante dans la mare ultra-réactionnaire du genre et qui fait de K2 l'hybride contre-nature du Judoka d'Ernie Clerk et du Toubib de Karol Bor

3 commentaires:

Ze Noon a dit…

L'hybride du judoka et du toubib, c'est pas plutôt Docteur Justice ?

(^_^)

ROBO32.EXE a dit…

Mais bon sang mais c'est bien sûr !

(et je n'y avais même pas pensé ! tiens, pour la peine, je vais me forcer à regarder le film de Christian-Jaque ! ;-)

Kerys a dit…

Et pourtant, c'est pas un K2… (Oui, je sors…)