JOËL HOUSSIN ET LE GORE

L'AUTOROUTE DU MASSACRE, JOËL HOUSSIN
L'ECHO DES SUPPLICIÉS, JOËL HOUSSIN
FLEUVE NOIR GORE # 2 & 14, 1985

C'est une récurrence chez Houssin, une sorte d'emblème stylistique. Le sanguinolent, l'éclatage de cervelle, les viscères en bouillie, toute la panoplie des étripages divers et des supplices graphiques dont raffole l'adolescent en quête de divertissement compensatoire, de littérature coup de poing.
Le motif était fortement présent dans Locomotive Rictus, il fut un peu plus effacé au Fleuve mais toujours tacite, à peine masqué. Houssin était l'écrivain brutal et nerveux par excellence.
Et si ses premiers Dobermann faisaient dans l'ultra-violence light ("une pénétration en douceur, très lubrifiée" dixit l'intéressé), les volumes suivants, que ce soit en Spécial Police ou en Anticipation, rattrapèrent bien vite le quota de boucherie généralisée qui caractérisa merveilleusement les débuts hallucinés de l'unique représentant de la génération électrocutée.
Ça tombe donc sous le sens. Lorsque Patrick Siry et Daniel Riche lancèrent au Fleuve Noir la collection Gore, ils ne pouvaient penser qu'à Houssin pour ouvrir le bal des atrocités - ce que l'auteur fit... d'une certaine façon... puisqu'il faudrait pour cela écarter de nos considérations un premier volume de collection à la présence plus symbolique qu'autre chose (il s'agissait de la novelisation par John Russo de La Nuit Des Morts Vivants).

L'Autoroute Du Massacre, premier Gore Français, prenait ainsi la forme d'un acte de naissance. Voire même de renaissance - renaissance de cette littérature horrifique francophone populaire, sans légitimation critique, qui s'était en partie éteinte après la défection d'Angoisse au milieu des années 70.
Commandé par Riche un an avant le lancement de la collection, L'Autoroute Du Massacre devait servir à l'établissement du mètre-étalon, ou plutôt du mode d'emploi du format Gore pour les auteurs francophones à venir. 150 pages, plus court qu'un Anticipation, écrit plus gros aussi, approximativement 200 mille signes. Voila la donne. De la littérature rapide, sans fioriture, sans intrigues poussées et surtout doté d'une dose conséquente d'hémoglobine. Un modèle de série b / x / z crapoteuse, racoleuse et brillante appliqué au roman de gare.
Il est d'ailleurs impossible de parler autrement de Gore qu'en abordant le registre cinématographique des salles de quartier. Avec son récit simple, parfaitement découpé, écrit à l'économie sans pour autant négliger le style, L'Autoroute du Massacre ressemble à un scénario de survival transgenre, quelque chose comme La Colline à Des Yeux de Craven carambolant le premier Humanoid From The Deep de la firme Corman. Des mutants squameux chassant l'homme et violant la femelle dans un no-man's-land moderne - ici, une bordure d'autoroute en plein bouchon du 15 aout. L'ensemble carbure en, permettez-moi, super-chrome 2000 mais - si l'on veut jouer au gars chiant - ça ne se dégage pas pour autant de la masse de bouquins Gore que le Fleuve Noir publia.
Certes, c'est bien mieux troussé qu'un Vila, bien plus dans le ton qu'un Pelot ou qu'un Arnaud et surtout bien moins tartignole qu'un anglo-saxon - ça s'affiche donc sans aucune difficulté dans le palmarès des 15 bouquins marquant de la collec' - mais, oh ! pour du Houssin, ce n'est rien de plus qu'un excellent minimum syndical. Pas un roman d'agrément comme Le Chasseur mais pas non plus une claque comme Blue, City ou Game Over.
Pour cela, pour la claque, pour le retournement de sens, pour (j'affirme, je confirme et je surligne) le meilleur roman de la collection, il vaut mieux se pencher sur le deuxième (et malheureusement dernier) Gore de Joël Houssin. L'Echo Des Suppliciés - apex surchargé et frénétique de la collection, morceau de bravoure dégueulasse où chaque page sur-enchérie la précédente, comme si l'auteur touchait enfin aux limites de son style roller-coaster... et les perçaient, impitoyablement - à l'image de ce skieur-victime, page 54/57, piégé sur un tire-fesse et se faisant flageller par des créatures infernales tout le long de sa montée vers un sommet funeste.

L'Echo Des Suppliciés, c'est donc, encore une fois, un bouquin de villégiature. L'autoroute du soleil a fait place aux montagnes enneigées des alpes. Houssin travaille le gore en fonction des RTT du lecteur populaire - et des siennes. Bouquin écrit sur la plage. Saine initiative.
C'est Les Bronzés deuxième édition, pollué jusqu'au fondement par du zombi rital aux coutumes sauvages.

Car si l'influence de L'Autoroute Du Massacre était purement américaine (Craven / Corman), L'Echo Des Suppliciés lorgne quant à lui sur les charniers de l'exploitation argentique transalpine - plus particulièrement sur le Frayeur et l'Au-Delà de Lucio Fulci.

Fini les planifications typique et téléphonées de la série B à l'américaine. Pour L'Echo Des Suppliciés, l'écriture de Houssin se fait furieusement automatique, retranscrivant sans rémission des cauchemars de plus en plus virulents, exactement comme si la Locomotive Rictus abandonnait ses oripeaux d'avant-garde pour revêtir ceux plus vulgaires mais tout aussi ludiques du divertissement de masse.
Et exactement comme dans la Locomotive, exactement comme dans les deux films Fulci, le récit est fracturé jusqu'à l'excès, jusqu'au trop plein.
L'Echo Des Suppliciés s'éparpille en figures narratives mais garde une progression franche et chronologique.
Car ici, l'éclatement des points de vue n'a pour seule finalité que l'incroyable multiplicité de sévices ultra-créatifs appliqués aux divers personnages...
Tout comme le mélange d'aberrations d'outre-tombe qui hantent cet écho infini (morts-vivants, goules, lombrics, sorcières, nature déchainée, serial-killer) ne vise qu'à une augmentation paroxysmique de la folie jusqu'à ce point de non-sens ultime, tourbillon grand-guignolesque qui, dans ses dernières circonvolutions, en révèle bien plus au lecteur que ce que l'œuvre affichait de prime abord à l'acheteur.

"Je pense qu'on n'est jamais allé aussi loin dans les descriptions cliniques des scènes d'horreur" déclarait Houssin dans son auto-entretien pour le Bel Effet Gore, anthologie didactique de la collection. En effet. On ne peut tomber plus juste. Et il est bien difficile de faire mieux.
L'Echo Des Suppliciés est le one-shot qui grille toutes les cartouches du genre.
"Je voulais faire la totale" rajoute-t-il aujourd'hui.

Objectif atteint. L'Echo Des Suppliciés, c'est l'exérèse ultime. Le roman n'affiche plus que des patins à désarticuler en guise de héros. Du scenario de shocker moderne débridé, nous passons à la poésie charnelle et indicible, forcement morbide, des corps soumis à d'incoercibles supplices - supplices n'ayant aucune autre logique que celle d'un cartoon dégénéré.
C'est Chuck Jones perdu dans des délires homicidaires (le gamin et sa luge, page 42). C'est l'obscénité poussée jusque dans ses derniers retranchements. C'est une suite infinie d'images barbares dont les répercutions oscillent constamment entre rire et effroi.

Exercice de style récréatif. Défouloir décérébré et jouissif. Au choix.
Mais il ne faudrait pas oublier que, derrière la pluie incessante d'organes à vifs, L'Echo Des Suppliciés s'affirme (imperceptiblement) comme un grand roman d'humour noir.
"Des salves d'applaudissements de foules idolâtres explosaient dans l'abdomen du pendu tandis que son anus alésé comme une gueule de loup répandait des fracas d'holocauste en guise de pets."
En abordant ce roman dans son guide du Gore, Jean-Philippe Mochon écrivait "je mets au défi quiconque de lire ce bouquin d'un traite" - mais, bien au contraire, ce ne peut être que dans une lecture sur l'instant, en moins d'une heure trente et sans pause, que L'Echo Des Suppliciés embrasse toutes ses dimensions.
Œuvre excessive autant que populaire, ou plutôt populiste, en tout cas soleil noir indiscutable du roman de gare, L'Echo Des Suppliciés permit à Houssin de dire :
"il n'est jamais trop tard pour aller trop loin."
Et en 150 pages, nous allons loin, très loin. Il aurait d'ailleurs été intéressant de poursuivre l'expérience, au delà, sur un autre volume peut être, mais L'Echo Des Suppliciés fut la dernière offrande de Houssin à la collection. Lui qui reprochait à GJ Arnaud d'avoir quitté Gore après deux volumes n'est finalement pas allé plus loin dans l'exercice.

Qu'importe.
L'essentiel est là. Et puis, aurait-ce été bien raisonnable d'aller plus loin ? Surtout : aurait-ce été possible ? Houssin n'avait-il pas tout dit en ces 150 pages aussi fracassantes que fascinantes ?
Pour reprendre encore une fois ses mots : "gardons nous d'être secs avant l'âge."

2 commentaires:

DrBis a dit…

Héhé, trop bon de voir citer "Humanoïds from the deep" alias "Les monstres de la mer" (pas génial, mais cette image finale !) dans une chronique. En bon docteur Bis, j'ai l'affiche originelle à la maison !

ROBO32.EXE a dit…

VEINARD !


(on parle bien de celle avec la nana blonde et gironde, couchée sur la sable, qui hurle en tendant le bras, un gros humanoïd from the deep derrière elle qui sort des flots, non ?)
(je décris tout ça de mémoire...)