NICK CARTER KILLMASTER

LE CHÂTEAU DE L'ESPION, NICK CARTER
PRESSES DE LA CITÉ / ESPIONNAGE # 32, 1967

Nick Carter a connu plusieurs vies. Autant clarifier l'affaire d'entrée. Il fut tour à tour (liste non-exhaustive) une variation américaine de Sherlock Holmes, un personnage de films muets français, y affronta d'ailleurs Zigomar, puis fut réinventé en détective privé des années 30, se retrouva éphémèrement traduit sous le nom de Bill Banco en poche, de Nick Carter en format magazine collection Haut Les Mains, devint le héros d'une trilogie cinématographique produite par la MGM, anima une émission de feuilletons radiophoniques, sombra dans l'oubli, prit l'apparence d'Eddie Constantine sur grand écran, connu une série non-officielle aux éditions de L'Arabesque sous la plume de Noël Ward et tomba enfin entre les pattes de Lyle Kenyon Engel qui le remodela en un improbable agent secret délirant pour mieux surfer sur la vague d'espionite aiguë initiée par la série des James Bond.
Nick Carter, anciennement Master Detective, devint ainsi Nick Carter Killmaster, le maître assassin, agent N3 de l'organisation sécrète AXE, super espion international, dragueur patenté, machiste suprême, ultra-baiseur et maxi-flingueur, parfaite combinaison-témoin du système de production littéraire des usines Lyle Kenyon Engel et de leur pool d'auteurs habituels, véritable ratpack atomique de la plume mercenaire dont nous pouvons retenir le grand Michael Avallone, l'efficace Valerie Moolman et le définitivement cramé du cervelet Manning Lee Stokes.
Vous vous en doutez certainement, c'est ce dernier qui nous intéresse aujourd'hui.
Manning Lee Stokes, signataire masqué de ce Château De L'Espion. Un ancien polardeux à la papa (voire même à la grand-papa) devenu dans les sixties un habitué notoire des house-names estampillés Kenyon. On le sait responsable, entre autres choses, des 8 premiers Blade (sous le pseudonyme de Jeffrey Lord), de la première série Le Mercenaire (John Eagle Expeditor, signé Paul Edwards) aux Presses de la Cité et probablement de la moitié la plus mauvaise de ma série de sexpionnage favorite, Penny S. / The Baroness, parue en France dans la géniale collection Eroscope.

Manning Lee Stoke, maître décadent de la production au kilomètre de fictions pour mecs, génial prototype du scribouillard anonyme et pourtant reconnaissable entre tous pour ses effusions de mauvais goût, son écriture lourdingue, sa volonté presque maladive d'en faire trop.
Ses romans sont comme ces gros gâteaux à étages, dégoulinants de crème
. C'est indigeste et pourtant étrangement fascinant. Exactement l'effet de ce Château De L'Espion, que j'ai failli à plusieurs reprises abandonner. Mais on rigole, on est parfois même surpris, régulièrement dérouté. L'aberration est monnaie courante, l'ambiance gentiment psychédélique. Alors on reste.
Car Nick Carter Killmaster est une série plutôt cocasse dans ses premières années. Contrairement à la tendance de l'époque, elle ne met pas trop souvent en scènes ces emmerdants affrontements entre Américains et communistes.
Il s'agit plutôt de Nick Carter contre des apprentis maîtres-du-monde, chefs de super-groupes terroristes d'opérette, retranchés dans leurs super-bases sécrètes, construisant de super-armes de destructions super-massives. On est pas très loin d'un Nick Fury Agent du S.E.R.V.O., la finesse Sterankienne en moins, la sexualité exacerbée en plus - production Kenyon oblige. Manning Lee Stokes s'y complaît d'ailleurs très bien. Son Château De L'Espion ressemble à ses Penny S. (j'en parlerai prochainement), mais sans les longs passages pornos. Juste les préliminaires et le contexte.
Ici, le méchant est impuissant et sa femme souffre de nymphomanie. Tout deux sont fourbes comme seuls des méchants de romans populaires savent l'être. Nick Carter combat le premier, se tape la seconde. "Un homme peut parfois servir son pays [...] par des moyens bien insolites" nous explique l'auteur.

Des phrases comme celle-ci, il en sort une tout les trois paragraphes. C'est le style Manning Lee Stokes. Il ne peut s'en empêcher. Ça fait aussi partie de son contrat. Il faut constamment sur-jouer pour conserver le lectorat. Rien n'est impossible. Rien n'est trop beau.
Une messe noire dans la lande écossaise tourne à l'orgie en pleine air. Un trajet en train devient une aventure digne de Rocambole. Les intitulés de chapitres se mettent au diapason. Un faux James Bond meurt dans d'atroces souffrances. Les armes à feu raisonnent comme des lettrages d'Artie Simek. "Banggggg ! Spangngggg ! Binnggggg !"
Littérature d'évasion, littérature de masse, fantasmes masculins et figures imposées
, tout cela mélangé, trituré, transformé en une invraisemblable fantaisie aux intonations pataudes... mais jalonnée d'images foutrement saisissantes. Paraphrasant Francis Lacassin, Ange Bastiani écrivait d'ailleurs : "la frénésie de l'action, l'insolite des situations, le délirant comportement des protagonistes ne font-ils pas bouillonner de sève poétique toute la série des Nick Carter [...] ?"

Toute la série ? Peut être pas. Mais pour les épisodes de Manning Lee Stokes (et c'est en partie d'eux dont Bastiani causait), oui, assurément, la sève poétique bouillonne bel et bien.
À vous, ensuite, de décider si les effluves qui s'en dégagent vous enivrent ou vous écœurent.

3 commentaires:

artemus dada a dit…

Excellent !

DrBis a dit…

Héhé, ma conscience nouvellement Müller-Fokkerisée dûment aiguillonnée, je suis allé jeter un œil dans ma crypte, persuadé d'avoir un Manning Lee Stokes dans la langue de Spillane. Pas encore trouvé, mais ça m'a permis, entre deux paperbacks d'horreur haddeubal (mon péché mignon) des choses que j'oubliais avoir amassé, comme plein de Bill Ballinger, de Mildred Davis, des pulps du Shadow et le Batman de Lansdale…
O joie de la retrouvaille d'amasseur (et non pas "ah, ma sœur !") foutraque et bordélique
Merci donc pour ce moment de joie indicible ! !
(Et pour le Stokes… Non, pas trouvé. Faudra que j'y retourne !)

ROBO32.EXE a dit…

Comme le disaient les apôtres à Jésus : mais si messie ! En V.O., vous avez au moins les premiers Blade !

Et je vous comprend parfaitement lorsque vous évoquez la joie de l'amasseur bordélique qui, le temps d'un petit rangement, retrouve des pépites qu'il avait totalement oubliées.

Je ne connaissais pas Mildred Davis mais ça m'a l'air intéressant. Je note le nom et irai voir ça dans les bacs de poches Rivages...