EROSCOPE EN VRAC

AH! LES BELLES CARABINIERES, FRANCIS TIGRONE
EPP / EROSCOPE # 54, 1977

Cela faisait un sacré bout de temps que je n'avais pas parlé des petits romans de cul de la maison Eroscope et qui constitue, vous le savez probablement, mon éditeur porno favori puisque, outre leur maquette et les sublimes accroches de couvertures au dessus des titres, leur production apparait, dans l'ensemble, comme bien moins fleur bleue que du Euredif Aphrodite et étrangement plus imprévisible que le Bébé Noir / Brigandine de base, celui qui donne dans la fiction mollassonne de détective privé sexuellement actif et non pas dans le délire d'acide lysergique appliqué à la litt' pop' cochonne.

Car question substances psychotropiques, on est pas toujours à plaindre lorsque l'on s'attaque à du Eroscope. Pour preuve ce Ah Les Belles Carabinières..., recit comico-porcin signé Francis Tigrone, coureur de fond de la litt'porno fin 70 début 80 et dont je n'avais jusqu'à présent lu aucun roman.
Honte à moi car son Ah Les Belles Carabinières est un Eroscope génial, exceptionnel, éminemment grisant au point d'en oublier ses nombreux défauts.

"C'est frais, c'est bon, ça détend, ça délasse" déclare la narratrice, une gendarmette d'un pays imaginaire, embringuée sans le savoir dans une sordide affaire de prostitution.
L'intrigue est classique mais le traitement détonne. Ah Les Belles Carabinières ressemble à du théâtre de boulevard sous cocaïne. C'est grotesque, décapant et Tigrone fait preuve d'un réel talent pour ce qui est de pousser la folie furieuse dans ses derniers retranchements. Son style n'est d'ailleurs pas sans agréablement rappeler le Ricardo Vanguardia de L'Une Dans L'Autre, morceau de choix du porno de commande qui dérape dans les territoires résolument autres de la déconnade déchaînée. Le ton est naïf, excessif, décalé, l'écriture semble parfois automatique, jamais bridée - et surtout pas par des effets de bons goûts.
Bref, c'est du roman paillard par excellence. Tigrone a le verbe haut et ses personnages resplendissent d'absurdité. Ils se pourchassent, se hurlent dessus, s'exterminent et s'amourachent dans des suites de scènettes agressivement fanfaronnes. On pense aux sexy comédies italiennes. En mieux. On imagine Lino Banfi et Alvaro Vitali bouffant du lion et s'embarquant dans d'infernaux numéros de cabotinages - jusqu'à l'apoplexie finale.
Au bout de 120 pages, d'ailleurs, Tigrone montre quelques signes de faiblesses. On ne peut l'en blâmer. Il a improbablement exterminé la moitié de son casting. Le reste est occupé en grivoiseries de tout genre.

"Mon gars," lance un docteur lubrique, "les nénés, la fesse, c'est le principal. Rien de mieux. Vous m'entendez ? Rien de mieux ! La fesse avant tout ! "
Face à un tel étalage d'excentricités, le lecteur est de toute manière bel et bien terrassé, sourire aux lèvres, la bave jusqu'au menton. Le diagnostique est simple. Ah Les Belles Carabinières est une lecture porno-dingo essentielle. Je n'en dirai pas plus. Voila un roman qui va rejoindre sans plus tarder la pile des dix meilleurs Eroscope.


BROOKLYN BLUES, RICARDO VANGUARDIA
EPP / EROSCOPE # 51, 1977

De Ricardo Vanguardia, j'ai déjà, et à de très nombreuses reprises, dis beaucoup de bien. Il y eu son Paire De Femme, une découverte décapante, un polar ultra-sombre aux fondations improbables mais avec quelques grands moments et une écriture sublime derrière le masque de la commande quasi-anonyme.
Il y eu ensuite Poupées de Vinyle, qui confirmait certaines choses, comme les structures bancales et l'écriture merveilleuse mais qui gâchait une intrigue géniale à base de 33 tours kraut-noise érotiques.
Il y eu enfin L'Une Dans L'Autre, dont je vous rabâche sans cesse les oreilles et que je considère comme ma meilleure lecture porno-dingo de ses deux dernières années, juste au dessus de Ah Les Belles Carabinières.
Un bouquin fou, un peu comme si les grands humoristes de la litt'pop' anglo-saxonne percutaient les clichés du road-movie polardeux, un peu comme si John Sladek s'attaquait, à la manière de ses pastiches sur Un Garçon A Vapeur, à l'intégrale de Jim Thomson avec en fond musical le yakiti sax de Benny Hill et à la traduction l'adaptateur anonyme des presses André Guerber.
Combinaison détonante.
Il ne me restait donc plus qu'un Ricardo Vanguardia à me farcir. Brooklyn Blues, son deuxième Eroscope juste après L'Une Dans L'Autre, juste avant Paire De Femmes. je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre, déchaînement humoristique ou ambiance plombée... la seconde réponse fut la bonne. Brooklyn Blues est le bouquin avec lequel Vanguardia marqua enfin son territoire, celui d'un Série Noire parsemé de pornographie brutale pour publication alimentaire, celui du polar fantasmé par un auteur ayant trop lu de David Goodis et de Charles Williams.
Plutôt post-polar que néo-polar, donc, pour m'exprimer en terminologie snobineuse. D'ailleurs, le résumé affiche explicitement la couleur.
"Floyd Kramer. Pianiste. Tape l'ivoire dans une boite de strip-tease. Fauché. Paumé. Minable. Rien pour faire un héros."
Vanguardia ressort des rengaines fatiguées sans les dépoussiérer. Tout juste les écrit-il différemment, de façon plus moderne et pour le compte d'un éditeur de porno. C'est du Manchette licencieux, obscène, littérairement abâtardi. Le résultât est prodigieux.
Phrasé court, nerveux, excellemment rythmé, l'écriture de Brooklyn Blues est étourdissante. Qu'importe si le roman ne raconte rien de véritablement essentiel ou nouveau, qu'importe si sa structure se révèle parfois fumeuse, qu'importe si des sexes émergent de leurs futes respectifs toutes les 6 pages. Ici, le style justifie tout et il a bien raison.

"Le dégout, ils jouissent," écrit Vanguardia en page 55. Les mots tombent comme des couperets. Le lecteur ralenti la cadence. Le bouquin impose son impérieuse volonté d'être savouré signe par signe. Des choses sont racontées. Des gens meurent. La fin est légèrement tragique. Page 219, avant de faire la promotion des Eroscope à paraître prochainement, Ricardo Vanguardia se permet une courte notule biographique :
"Quoique d'expression espagnole, Ricardo Vanguardia est l'un des derniers héritiers du roman noir américain. Le depouillement, la brutalité, l'économie du langage et des sentiments, alliés à une tendresse profonde et rare, sont les pans de l'univers qu'il batit minutieusement livre après livre. Suivant L'Une Dans L'Autre, Brooklyn Blues est son second roman. Le troisieme, Carré de Femmes, sera publié l'année prochaine. Lorsqu'il n'écrit pas, Ricardo Vanguardia, qui partage sa vie entre New York, Paris et Mexico, s'adonne à ses deux autres passions : la peinture et la pêche à l'espadon."

LE GANG DES VIOLEUSES, LOPEZ JERGA
EPP / EROSCOPE # 19, 1976

De Lopez Jerga, j'avais déjà lu son second (et dernier) Eroscope, Silvia Et Ses monstres, récit agréable mais peinant à honorer les attentes du lectorat. La couverture et le résumé laissaient entrevoir un Freaks en version pornographique mais le résultât final se révélait bien trop gentillet.
Au sujet du Gang Des Violeuse, je pourrai réécrire exactement la même chose.
Titre exceptionnel, accroche de couverture totalement bis ("un commando de filles prêtes à tout pour satisfaire leurs désirs..."), sujet racoleur traité comme un fait-divers authentique... mais un texte bien trop lâche, bien trop peureux, hésitant constamment entre sérieux tragique de roman policier bien propre sur lui et délire total pour publication populaire bas de gamme.

Sur une durée de 220 pages, la sensation de cul entre deux chaise est un peu pénible. Le Gang Des Violeuses est à la fois médiocre et sympathique, en tout cas jamais mémorable, sauf pour sa conclusion anti-climatic à souhait. En effet : Jamais je n'avais vu un scribouillard de gare traiter son œuvre avec autant de désinvolture. Car il n'y a pas de conclusion. Le roman s'arrête en plein milieu d'une scène. Une phrase reste en suspens, un dialogue inachevé, comme si l'auteur disait "terminus tout le monde ! j'ai rempli mes 220 feuillets, inutile d'aller plus loin."
A noter aussi les deux pages de prologue, qui révèlent l'intégralité du récit sous la forme d'une fausse coupure de presse, avec tout de même une légère différence quant à la conclusion - un peu comme si, entre la page 6 et la page 196, Lopez Jerga avait changé d'avis sans pour autant retoucher les pages introductives à son texte.
Bref, un bel exemple de je-m'en-foutisme et un joli gâchis.


LA CHAIR DE L'ETOILE, ALAN FLOOR
EPP / EROSCOPE # 121, 1980

De Alan Floor - et bien que possédant divers de ses ouvrages en Eroscope (la série L'Innocent), en Fleuve Noir Spécial Police (Le Trucker) et même en Denoël Super Crime Club (un premier roman sous le nom de Al. P. Floor, Temps de Chiens) - je n'avais jusqu'à présent rien lu. Difficile donc de dire si La Chair De L'Etoile est représentatif de sa production.
Dans l'ensemble, et pour faire vite, l'écriture est bien foutue mais l'intrigue et son traitement sont affligeants. Le récit, qui aurait pourtant pu donner un très bon ethno-SF à la Ursula Le Guin revu et corrigé sous le prisme légèrement dépressif d'un Suragne ou d'un Jeury, se traîne en longueur. Chapitre 6, les choses semblent s'accélérer mais tout s'écroule en quelques pages. Il semble qu'Alan Floor à une histoire à raconter mais qu'il ne sait pas par quel bout la saisir.
Et puis il y a les sacro-saintes scènes porno, nécessaires pour une publication en Eroscope et casées à la va-vite, en songes ou en divagations virtuelles. Largement inutiles, elles ne font qu'alourdir un récit pourtant déjà bien mal en point. La Chair De L'Etoile ressemble à un Anticipation période fin-70, saboulé sexy à l'emporte-pièce pour honorer la commande d'une collection de cul.
Le résultât est attristant - d'autant plus qu'Alan Floor semble assez doué pour tous les protocoles de la SF moderne : le futur éclairé au néon, les conglomérats intergalactiques, les divertissements synthétiques, les intérêts économiques à grande échelle. Ça ne l'empêche pas pour autant de rater sa cible. Il va même jusqu'à faire mentir son accroche de couverture. La Chair De L'Etoile ne contient aucun rapport extra-sexuel.
Et si ce n'est pas aussi mauvais que certains Jean-Marc Ligny, c'est tout de même assez ennuyeux pour qui s'attendait à du Dominique Verseau...

BILAN FINAL
1 découverte délicieuse et épatante, 1 très bon Ricardo Vanguardia et 2 déceptions aux aboutissements plus insatisfaisants que véritablement nuls.
Bref, dans l'ensemble, une assez bonne pioche.

6 commentaires:

losfeld a dit…

tu carbures dis donc! faut que je me dégote ces Ricardo Vanguardia fissa...

ROBO32.EXE a dit…

et les tigrone aussi !
(j'en ai lu qu'un mais je sais pas... je les sens bien, les tigrone !)

Shige a dit…

Je viens de découvrir cette collection via le site Bric-à-brac qui donne à voir les couvertures de la plupart des titres - je me suis régalé de cette liste !
http://shigepekin.over-blog.com/article-la-collection-eroscope-sur-le-site-bric-a-brac-45332377.html

Mais là vous donnez surtout envie de les lire ces livres...

ROBO32.EXE a dit…

... ce qui, justement, est le but !
merci ;)

DrBis a dit…

Pourquoi tant de haine (relative) contre Ligny ? Débarrassé des prétentions esthético-littératureuses de ses débuts, c'est devenu un excellent auteur…

ROBO32.EXE a dit…

j'aime bien (de temps à autre) dire du mal gratuitement d'un auteur reconnu, c'est mon coté vieille fille ;)

bon, plus sérieusement, j'ai toujours eu du mal avec les textes de Ligny. Certains m'ont parus trop prétentieux, dans les idées, les références et le style - sans pour autant réussir à transformer cette 'prétention' en quelque chose de fascinant. Disons que l'écriture de Ligny se fait parfois trop lourde, trop appuyée, et ça, ça me gène.
Après, j'ai pas lu de Ligny depuis bien bon dix ans. Donc faudrait peut être que je m'y replonge un jour - et même si j'ai peur que des bouquins comme Cyberkiller ou Innercity aient sacrement mal vieillis...

(et puis, ce n'est pas si negatif que de dire du mal d'un auteur qui apparait brièvement dans L'Espion de l'Etrange de Karel Dekk... ça permet même d'en discuter avec un autre auteur lui aussi brièvement apparu dans L'Espion de L'Etrange - vous me suivez, m'sieur Bis ?)