FIN DE SÉRIES À L'ARABESQUE


LUC FERRAN JOUE SERRÉ, GIL DARCY
LE TOUBIB VEND LA MÈCHE, KAROL BOR
LA PANTHÈRE SE VENGE, RENÉ CHARVIN
ARABESQUE ESPIONNAGE # 605, # 606, # 607, 1969
C'est en 1969 que retomba le soufflet de l'espionnage populaire. James Bond changeait pour la première fois de visage et l'Italie mettaient en sourdine son usine à agents secrets pelliculés. 1966 et ses productions à la chaine, toutes surfant sur les recettes de Goldfinger et de Thunderball, 1966 semblait bien loin.
Fini les Ken Clark, les Lang Jeffries et les Ray Danton en ersatz du gars Connery. Fini les Margaret Lee, les Helga Liné, les Rosalba Neri en potiches joyeuses ou espionnes saphiques.
Le rideau tombait sur tout un pan de la production cinématographique, la caméra changeait d'angle.

Même constat pour le pendant littéraire de la chose. À l'époque, cinéma de quartier et romans de gare marchaient main dans la main et les petites collections mettaient la clef sous la porte.
Le public en avait marre, l'agent secret représentait désormais une valeur moribonde. Avec les mêmes motifs brodés ad-nauseum, la tapisserie ne suscitait plus qu'un paisible ennui. Les mailles se désagrégeaient et les ventes piquaient du nez. Passer à autre chose, re-moderniser le produit, devenait de plus en plus urgent.
Et avec le porno qui toquait à la porte...
Le calcul fut vite effectué.
La fin de l'année 69 marqua ainsi la reconversion des Presses Noires en Euredif et, surtout, la disparition de la SEG, du Gerfaut Sélection Espionnage et de l'Arabesque.
C'est cette dernière collection qui nous intéresse aujourd'hui. Il s'agit en effet de la plus conséquente, juste après le Fleuve Noir.
608 volumes dans le genre, since 1955 - et voila l'éditeur qui, au quatrième trimestre 1969, arrête les frais concernant les manuscrits inédits. Le reste de sa série, jusqu'au numéro final, le 620, ne fut plus constitué que de rééditions d'ouvrages déjà présents à son catalogue.
Adieu Ferran, adieu Toubib, adieu Panthère.
Le présent billet s'attarde sur leur dernière aventure publiée...


Et la dernière aventure publiée de Luc Ferran fut (si je compte bien) son cent-vingtième forfait. Le vingt-quatrieme écrit par Roger Vlatimo. Merci à Pierre Cabriot pour ces précieuses informations...
Dans cet épisode, notre héros, cet être "invulnérable comme ces héros de bandes dessinées [aux] aventures extravageantes," stationne en Italie. Il y traque les indicateurs du réseau Rosso mais semble être prit de vitesse par des agents dormants soviétiques qui pratiquent sur leur propre combine la méthode de la terre brûlée.
"On mourrait trop vite et trop facilement, à Rome, ces derniers temps."
Vlatimo ne se montre pas en très grande forme dans l'exécution de cet épisode. L'intrigue est plus proche de Luc Ferran Affronte Le Loup (Arabesque # 500) que de Luc Ferran Bouzille Du Requin À Mains Nues Après Avoir Echappé À Une Secte De Robots Fanatiques Assoifés De Sang Occidental En Plein Pacifique (Arabesque # 545). Nous sommes dans le domaine du suspense policier anti-communiste, pas dans celui de l'action a-go-go, espionnage débridé et course-poursuites endiablées inclus.
Heureusement, nous sommes tout de même à Rome. On y effectue donc ses filatures en Fiat 500 (avec, très probablement, du Franco Micalizzi dans l'auto-radio) et les nanas à gros parechocs y lisent des romans populaires Segretissimo.
Pincez-moi, je rêve !
Luc s'en envoie d'ailleurs une petite, en page 127 : "Il joua d'elle avec un art raffiné, comme d'un instrument aux multiples cordes. Ce fut assez long, savant et subtil. "
Nous ne sommes plus très loin des éditions Promodifa mais notre héros ne donne pas que dans la pastiquette de greluche, il expérimente aussi quelques classiques de la torture salingue, façon le panaché des plus grands tubes de l'OAS en goguette.
Le coup de la baignoire, que ce soit dans un caniveau puant ou dans un fleuve, et (forcement) celui de l'électrocution avec deux fils de fer et une bougie de voiture sont donc de la partie. Je pourrai citer un "ce fut assez long, savant et subtil " de circonstance mais l'auteur préfère la jouer modéré : "Ce genre de truc lui déplaisait souverainement. Il n'y recourait que contraint et forcé."
Quant au final, il n'est pas franchement satisfaisant : on y trouve quelques révélations sans grand intérêt, un duel sans la classe d'un western romain et une petite mort tragique lourdement téléphonée.
Au niveau de la littérature d'abatage, c'est toujours mieux qu'un Jean-Michel Sorel (si tu ne sais pas ce que cela signifie, tu es un homme heureux) et ça vaut la bonne moyenne des Jean Buré dans cette même collec' - mais comme dernière aventure de Luc Ferran, ce n'est pas très brillant... n'en déplaise à notre héros et son auteur :
"Il aurait aimé finir en beauté, comme ces boxeurs qui se retirent après l'ultime combat qui les consacre champions du monde."
C'est beau... et c'est vrai.
Mais reprenons sur une citation. C'est la dernière aventure du Toubib et c'est le numéro # 606 de la collection. Nous sommes en page 25 et une nana lance à notre (nouvel) héros cette jolie phrase : "Vous êtes un vrai chevalier du moyen-age et c'est Dieu qui m'a guidé vers vous."
Maintenant, rectifions. Ce n'est pas un chevalier du moyen-age mais un espion moderne. Et ce n'est pas Dieu qui le guide mais un auteur à l'inspiration vacillante.
Le héros, c'est donc le Toubib - une quinzaine d'aventures à son actif et précurseur des frasques spatio-temporelles du Docteur Alan.
La nana, c'est Choura, une jeune Turque danseuse de cabaret la nuit, étudiante le jour.
Et comme l'auteur n'est autre que Karol Bor, alias Jan de Fast, alias Jean Buré, alias un petit cochon du roman d'aventure, Choura remercie le Toubib de la façon la plus naturelle qui soit, en page 34. "Et si la sagesse des nations affirme que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a, il n'est écrit nulle part qu'un galant homme doive se contraindre à le refuser."
Tu l'as dis bouffi !
A ce stade là de l'affaire, l'intrigue n'est pas encore lancée mais les pièces s'emmanchent peu à peu. Le Toubib est victime d'une double grosse coïncidence. Les SR Russes lui proposent un deal, la CIA essaye de le coincer. Il est aussi question d'un mysterieux carnet noir, de drogues, d'ogives nucleaires...
"Tout cela, vraiment, était bien compliqué..."
Passé un mise enroute laborieuse, Le Toubib Vend La Meche s'avere être assez sympa. On y apprend que la plupart des aventuriers ont "un fond de sybaritisme" (traduction : c'est des mecs cools) et que les Ruskoffs sont parfois "emportés par la sauvagerie atavique de l'ame Slave" (traduction : ils sont cons mais gentils.)
Les 30 dernières pages sont par contre assez ennuyeuses. Karol Bor ne sait plus quoi raconter mais faut se montrer compréhensif : tartiner du 220 pages bimestriel, rien qu'avec des truc-muches époustouflants, ce n'est pas aussi facile que ce que l'on pourrait croire.
Nature, non ?


Le petit dernier pour la route. Après l'Italie et la Turquie, voici venir la Syrie et la Lybie.
Le roman fait dans le touffu, l'intrigue est chargée. Pistes et protagonistes se bousculent et l'auteur, René Charvin, se montre très généreux.
Genereuse, l'héroïne l'est aussi. Eve Miller, dit la Panthere.
"1 metre 75, 65 kilos..., une taille de 60 centimetres, qui met en valeur les 95 centimetres du tour de hanches et une poitrine en balcon qui, avec son mètre dix de tour est un defi permanent et victorieux aux lois de la pesanteur."
Ce mec, ce n'est pas un écrivain, c'est une calculatrice qui bande.
Mais reprenons. La Panthere enquête donc à Beyrouth, y traque un politicien en pleins déboires conjugaux, puis met à jour un coup d'état fomenté par des musulmans intégristes.
"Toujours ce vieux conflit entre croix et croissant," note finement son adjoint, David Mallen, dit le Leopard, alors qu'il s'occupe à jouer les backbands dans le désert, incognito rococo dans un camp de terroristes excités.
Disons qu'il assure le quota "aventure virile" du bouquin.
Charvin noue patiemment les deux fils d'intrigue puis, arrivé à la moitié du texte, donne dans le sexy-sadisme d'après-guerre, cet ingrédient populaire qui, en 1969, repointaient le bout de son adorable tarin dans les récits d'espions à couvertures aguicheuses.
I
l faut savoir vendre sa tambouille. Du sexe et du sang.
Le résumé de quatrième de couv' promettait d'ailleurs "un véritable festival d'embuches en tous genres, de cruautés et de violences dans une ambiance plus que malsaine" et le lecteur n'en sera pas pour ses frais.
Femmes violentées, sequestrées, violées. HOURAH ! Il s'en trouve même une, de greluche, pour subir un bon vieux supplice du pal façon Cannibal Holocaust. Et comme l'explique si bien un méchant musulman en page 152 :
"Vous n'ignorez pas que la femme, plus que l'homme, offre des possibilités de raffinement dans la torture."
J'ai presque envie de re-citer Luc Ferran : "ce fut assez long, savant et subtil."
Calmons neanmoins les ardeurs des lecteures tordus du capuchon. La Panthère Se Venge n'est pas un roman gore. L'abominable y est routinier, un peu lisse, un peu fade. Rien à voir avec la complaisance d'un bouquin porno en collection Les Soudards. Tout comme le trio Vlatimo / Maury / Tremesaigues, Charvin donne dans ces petits frissons gentillets, ceux popularisés par la série des SAS, ceux propre à durcir l'entre-jambe des petits fonctionnaires en trip club-med', l'imagination molle et le bermuda tendu.
Il faut bien vivre avec son temps.
En 1969, l'espionnage se mourrait et toutes les audaces étaient bonnes pour réanimer le cadavre. Je l'expliquais plus haut, je ne vais pas y revenir.
Terminons-en donc une bonne fois pour toute avec cet ultime Panthère.
Encore une fois, il pèse 20 pages de trop. Un excès de politique internationale vulgarisée coupe les jambes à un final qu'on aurait souhaité tonitruant.
Et c'est un peu cela que je reprocherai à cette fournée du jour : j'espérai des bastons dantesques, des duels western-modernes enragés, des explosions nucléaires en technicolor super-scope et je me retrouve avec la tambouille habituelle, celle qui ne sort pas de l'ordinaire, celle qui laisse sur sa faim, celle qui appelle à refoutre le couvert.
Manque de bol. L'auberge fermait boutique. C'était la dernière tournée. Le patron calanchait, les futs s'éventaient. Elle laissera, comme beaucoup d'autres, un sévère arrière goût d'insatisfaction.
Pas grave.
Allons tituber ailleurs.

5 commentaires:

Zaïtchick a dit…

On vit la fin d'une époque...

Je pensais que l'éclipse était beaucoup plus tardive. (Genre fin des années 80.)

ROBO32.EXE a dit…

Disons qu'il s'agit là de la première éclipse. Début 70, le genre Espionnage évolue alors vers l'ersatz de SAS (qui, à cette époque, connaissait un succès à la fois critique (!!!) et populaire), vers le sexpionnage porno ou vers l'aventure ultra-virile genre l'Exécuteur, l'Implacable ou le Penetrator... avant de connaitre une nouvelle éclipse, fatale cette fois-ci, à la fin des années 80.

Kerys a dit…

Je me souviens de la fin de la collec' Espionnage du Fleuve (qui me laissa avec deux manus sur les bras, groumph), c'est vrai qu'on l'a laissée mourir à petit feu, sans trouver d'auteurs pour renouveler le cheptel et avec cette présentation parfois assez horrible…

ROBO32.EXE a dit…

Oh ? C'était sous quel pseudo (si cela n'est pas indiscret) ?

sinon, j'ai l'impression qu'il y eu un petit soubresaut éditorial, au Fleuve, dans les toutes dernières années de leur collec' Espionnage.
Car dans les années 60 / 70, c'était plutôt la chasse gardée des vieux de la vieille (mieux rétribués que les autres auteurs des autres collec'), et voila qu'entre 85 et 87 on y voit débarquer quelques nouveaux noms, comme Paris et Wagner, Touchet, Dharma, Honaker, etc.
Il y a aussi la maquette qui change, on remplace les rectangles de banques d'images super-terne par des illustrations assez modernes.
Du coup, tout ça donne une impression d'opération "de la dernière chance."
Mais bon... le mal était fait depuis déjà fort longtemps...

Kerys a dit…

Comme souvent au Fleuve, plus encore par la suite avec Anticipation, on a pensé qu'il sffisait de changer le contenant (pardon : relouquer) à grand frais sans se soucier du contenu…