FAITES CHAUFFER LES BASTOS !

12 BALLES DANS LA PEAU, JAMES HADLEY CHASE
LE LIVRE PLASTIC / LA TOUR DE LONDRES, 1948

Un type tout ce qu'il y a de plus affranchi - aussi dessalé qu'un steak grillé peut être poivré - débarque à Paradise City en vue d'y couler quelques semaines de vacances dûment méritées.
Il s'appelle Chester Cain et son arrivée dans ce patelin du tonnerre, un bled époustouflant entièrement dédié au plaisir des sens et à la vidange des larfeuilles trop remplis, semble déclencher quelques étranges réactions de la part de personnages hauts placés.
"J'étais aussi sûr que possible qu'on me passait la main dans le dos pour me préparer une tuile quelconque."
Et il n'a pas tort. La tuile se nomme Miss Wonderly - Wonderly comme dans Le Faucon de Malte de Dashiell Hammett. Une belle blonde bien balancée, le type tonitruant, avec des formes à faire sortir les trompettes de leurs étuis et dresser les cors de chasse en vue du brame final.
"Je parierais que chaque fois qu'elle traverse un cimetière les macchabées se relèvent avec un petit sifflement admiratif" narratise notre héros en page 19, après s'être fait couper le souffle par l'entrée en scène de la poupée.

Mais n'en dévoilons pas trop sur l'intrigue. Ce serait gâcher ton plaisir. Hadley Chase turbine comme une centrale hydraulique un jour de pluie torrentielle.
Première partie bondissante, style d'écriture ad hoc.
On est loin des ambiances plombées d'Eva, de la Chambre Noire ou de La Main Dans Le Sac - on nage plutôt dans les eaux agitées du roman de durs qui défouraillent - mais comme souvent chez ce grand Anglais malsain, le lecteur ne sait pas très bien où il fourre ses ciseaux. Les enjeux mettent une bonne quarantaine de pages à clairement se définir. Et la suite se déroule selon une série d'automatismes bien huilés.

Car dans les grandes lignes, 12 Balles Dans La Peau appartient au genre du nettoyage de printemps. Une thématique typiquement américaine, héritée des épopées westerniennes et fondatrice du roman noir. L'ouest sauvage et ses bourgades en proie à la chienlit ou l'Amérique fordiste et ses zones urbaines pourrissantes. Canyon sanglant ou moisson rouge. Un étranger arrive dans une ville corrompue, pose un regard neuf sur son fonctionnement et entreprend d'y faire le ménage - sans eau de javel mais à grandes rasades de plomb fumant.
"Je reste ici jusqu'à ce que j'aie mis le patelin sans dessus dessous et que j'aie découvert ce qui cloche. Je reste ici jusqu'à ce que j'aie fait sauter votre municipalité..."
...déclare Chester Cain à ses ennemis.
Et l'auteur d'orienter son texte vers un pastiche pince sans rire du style hardboiled.

En témoigne le personnage de Clairbold, detective privé ayant tout appris du métier via des cours par correspondance - un peu comme Hadley Chase a tout appris de l'Amérique via des cartes routières et un dictionnaire de slang.
En témoigne aussi cette fusillade dans un bar, cocasse et éthylique, pages 209 à 225. À la lecture, elle me faisait penser au film de John Berry, Ça Va Barder, avec Eddy Constantine en tête d'affiche - même mélange de sérieux et de rigolade.
En fait, 12 Balles Dans La Peau est au roman noir américain ce que le western spaghetti sera, 15 et quelques années plus tard, au western traditionnel.

Une vision déformée, tronquée, distordue de la formule originelle, un avis extérieur et européen, un mélange de grotesque et de superbe, un ersatz plein de classe et de fougue.
Et si 12 Balles Dans La Peau, fier de s'affirmer comme un petit roman alimentaire sans autre prétention que le divertissement à bas prix, n'opère aucun retournement cognitif, il reste néanmoins une jolie curiosité pour ceux d'entre nous qui aiment lorsqu'un auteur braconne sans vergogne sur les traces de ses pairs.

4 commentaires:

artemus dada a dit…

J'ai lu quelque part que Tom Robbins était le roi de la métaphore, ceux qui ont écrit cela te t'avais jamais lu, pour sûr !

ROBO32.EXE a dit…

Ça tombe bien, je n'ai jamais lu de Tom Robbins ;-)

(La métaphore qui claque, à mon sens, c'est ce qui fait (presque) tout le sel des romans noir des années 40 / 50 - j'essayais donc d'y rendre hommage - heureux que ça t'ai plu, Artie !)

Zaïtchick a dit…

Au lieu de critiquer, écris !

ROBO32.EXE a dit…

ben justement, j'écris... des critiques ;-)