VANGUARDIA OVERDRIVE

L'UNE DANS L'AUTRE, RICARDO VANGUARDIA
EPP / EROSCOPE # 27, 1976

Après deux romans - lus, appréciés, recommandés ici-même - j'avais l'impression de bien connaitre Ricardo Vanguardia.
À mes yeux, Vaguardia était un gars un peu frustre, traducteur le jour, écrivain malveillant la nuit, et qui produisait du série noire à l'ancienne, type années 60, violent, sans concession, un peu comme du Richard Stark caricaturé à l'extrême, pour le compte d'une collection de cul bas de gamme - étant donné que les éditeurs populaires honorables ne voulaient certainement pas monnayer ses humbles talents pour d'autres travaux que ceux d'adaptions.

D'un coté, Vanguardia écrivait donc des petit romans noirs plombés, avec une ambiance lourdement americanisé, exactement celle que l'on retrouvera plus tard chez Mazarin/Necrorian en collec' Gore - fantasmes classique d'auteur français de populaire agressif : le désert façon western moderne, la route, les rednecks incultes, la frontière mexicaine, les bars miteux dans lesquels l'aube ne pénètre jamais et puis la guerre (Corée, Vietnam) en blessure qui peine à cicatriser, la chaleur, la sueur, la crasse, la poisse, l'alcool fort.
Territoire balisé mais efficace.
Ensuite, pour convenir avec les normes éditoriales d'Eroscope, il y a le cul, que Vanguardia tartine par dessus ses intentions originelles en doses massives. Il faut que les personnages baisent, que le lectorat bande. C'est la règle.
Chez lui, heureusement, c'est bien intégré au texte et sacrement moins tarte que l'Eroscope-moyen avec ses petites hippies en pèlerinage de dépucelage extrême-oriental. Vanguardia officie dans le paragraphe coïtal misogyne et brutal. Du rapidement envoyé, mais n'empêchant pas pour autant les romans de souffrir des travers inhérents au genre porno-populaire : intrigue bancale et relâchement stylistique en deuxième tiers.

De cette dernière considération, il faut néanmoins soustraire L'Une Dans L'Autre car ici nous touchons à l'absolu de la littérature poubelle farceuse. Je m'en voudrais de verser dans l'apologie facile mais cet Eroscope, tout premier récit de Vanguardia, est certainement le meilleur bouquin que j'ai pu lire en cette année 2009.
Le lecteur attentif (y-en a-t-il ?) me dira, à juste titre, que ce n'est pas véritablement un gage de qualité - les six derniers mois du pulpbot n'ont en effet été marqués que par du Don Pendleton classique dans sa bassesse et un Regis Lary énorme dans ses excès. Et c'est d'ailleurs à Regis Lary qu'il convient ici de penser puisque L'Une Dans L'Autre est un roman ahurissant d'humour, de folie et de mauvais gout à peine contenu. Ahurissant surtout dans des velléités à brusquer les normes astreignantes du roman populaire via l'usage d'un ton bêtement grossier et trivial. Ce Vanguardia fonctionne en effet comme un pastiche de roman porno-populo, de roman noir vulgaire, de roman de mec qui ne se la raconte pas, marche droit dans ses santiags et crache en biais dans le bidet.

Le bouquin débute exactement comme Paire De Femme. West, dit Flash, dit Rock, est un ancien boxer, ancien G.I., ancien taulard, ancien routier qui se retrouve par les facéties d'un shérif belliqueux à remonter sur un ring de province. Il est censé s'allonger au quatrième round mais les doux yeux d'une blonde incendiaire lui font changer d'avis. Et le voila qui, après avoir assené un méchant K.O. à son médiocre adversaire, se fait la malle avec la pépée sur une interstate des U.S. of A.
On ne voit pas le coup venir.
L'Une Dans L'Autre ne fait que commencer. 20 pages sérieuses, on lit du Vanguardia typique puis soudain, ça bascule. Le ridicule pointe son nez d'un coup un seul et l'auteur met la gomme niveau rodomontade enjouée et hilarante.
Ainsi, après avoir baisés dans une guimbarde lancée à grande vitesse sur l'autostrade, West/Flash/Rock et sa greluche s'écrasent dans la cabane d'un néanderthalien au bulbe rachitique surnommé Folk. Un gonze pas très net, avec un gros gourdin entre les deux guiboles et l'envie de monter de gros coups foireux. Le trio se débarrasse d'une bande de hell's angels nazillards encombrants puis se lance dans une des combines minable de Folk. Le polar-porno sérieux se transforme alors en remake paillard et poilant d'une cloche et deux associés. Ou plutôt d'un de ces buddy-movie prout-prout et americanisé à la Terrence Hill et Bud Spencer. On a le grand con et le gros débile, dynamic duo par excellence de la comédie lourde qui se respecte.
Affreux, sales et méchants, nos deux gniasses se vautrent donc dans la bouffonade à longueur de pages - sans pour autant atteindre les degrés de dégénérescence ultime dans laquelle se complaisaient quelques années plus tôt et au grand dam de Marcel Duhamel Luz Inferman et La Cloduque dans la série (noire) de Pierre Siniac - à vrai dire, ces deux innommables-là sont définitivement hors compétition. Ils feraient même passer Beru et Pinuche pour deux blondes californiennes siliconées certifiées playmates de l'année.
Mais le compte Inferman/Cloduque n'est pas loin. Rock et Folk sont doués pour le pathétique de basse-cour et Vanguardia s'en donne à cœur joie dans le registre loufoque, surjouant le ridicule avec un style de haute-volée que n'auraient reniés ni Ron Goulart et ses suites infernales de situations burlesques ni Regis Lary ou Jean-Pierre Bouyxou pour le déchainement sémantique du scribouillard de gare amusé par sa propre condition.
Bref, la came est excellente.
Laissons nous donc aller aux joies de la dithyrambe immodérée et terminons par une brève mise au point enflammée.
L'Une Dans L'Autre est LE morceau de bravoure de Ricardo Vanguardia, un roman grassement licencieux et grotesquement séditieux qui s'affirme pages après pages non seulement comme un Eroscope exceptionnel (et cela à plusieurs centaines de pourcents) mais aussi comme un roman populaire à ne pas laisser moisir dans les étagères de bouquinistes et les cartons des vide-greniers de campagne sous peine de passer à coté d'un joyaux de la littérature marginale (ou inutile) foutraquement débridée et foutrement détraquée.
Et puis comment résister à un roman porno débutant par une citation de Maïakovski ?
Vous voilà prévenus.

7 commentaires:

losfeld a dit…

Quel retour après presque un mois d'abstinence! Je vais me procurer ce bouquin au plus vite

ROBO32.EXE a dit…

oui, j'ai un peu chié avec ce "mois d'abstinence," desolé... mais c'est la faute au pornofokker.

ROBO32.EXE a dit…

oh, toi, ta gueule !

Kerys a dit…

Boufre ! Citer Siniac ! Bon, certes, je n'ai jamais trop compris l'intérêt des Inferman/Cloduque qui faisaient un peu trop défouloir de misanthrope ayant vu du Fellini en boucle un soir de cuite et oubliant un brin qu'il y avait un lecteur à l'autre bout… Mais Siniac est quand même un grand trop oublié, qui pis est, qui fut un des premiers à mettre de vrais morceaux de fantastique dans ses polars (du moins publié dans des collections définies comme telle genre Engrenage.)

ROBO32.EXE a dit…

Aaah... j'aime beaucoup la série des Inferman ! Peut être parce que je m'identifie un peu aux protagonistes
(Mais attention ! Plus Inferman que la Cloduque, tout de même !!!)
Et oui, ses Engrenage sont superbes... J'essaierai peut être, un jour, de vraiment causer de Siniac sur ce blog...

Kerys a dit…

En effet, je trouve que c'est un grand oublié (sinon méconnu, car il était reconnu de son vivant). Il a d'ailleurs marqué et laissé une descendance (Nadine Monfils a quelque chose du grand Pierre…)

ROBO32.EXE a dit…

Méconnu, c'est bien le mot. Et quant on pense qu'il fut retrouvé mort dans son appartement... un peu comme si il signait là, réellement, sa dernière nouvelle noire...
Et faudra bien un jour que je lise du Nadine Monfils. Je n'ai d'ailleurs aucune excuse : je crèche actuellement en Belgique !