C'EST DE LA DYNAMITE !

LES SEPT CERCLES, MICHAËL BORGIA
ROBERT LAFFONT / TNT # 1, 1978

Dans la série des gros bras romanesques en trois lettres constitutives, je demande, après Zac et Don, TNT, série française signée du binôme Michaël Borgia et racontant les incroyables exploits de Tony Nicholas Twin, journaliste intrépide transformé, suite à un accident nucléaire, en super-baroudeur aux facultés sensorielles extraordinaires et aux aptitudes sexuelles hors du commun.
Des prémices qui promettent... et qui tiennent !

Première aventure de TNT, Les Sept Cercles est en effet un roman viril à mille lieux de la routine blasée, parfois même émoussante, des séries du genre, répétitives au point de ne plus se distinguer les unes des autres que par les cursus militaires de leurs héros respectifs comme - par exemple - Mark Hardin, c'est trois années au Vietnam alors que Mack Bolan a, lui, en plus, participé à la guerre de Corée.
TNT, par contre, n'est pas militaire de carrière. Ni même flingueur fou. Ou vigilante illuminé. Ou flic en rupture de ban et faisant régner la loi du talion dans les ruelles sombres et crasseuses des grandes cités américaines.
Avec ses pouvoirs étranges, ses origines à la Stan Lee et la trame fantastique de ses aventures, on le rapprocherait plutôt de Remo Williams, dit L'Implacable.

Et si les dialogues humoristiques, marque de fabrique de la série de Richard Sapir et Warren Murphy, sont aux abonnés absents chez TNT (le héros éponyme ne parlant presque pas), on y retrouve par contre ce même fond satirique typique des années 70, cette cruauté amusée envers les excès du monde moderne et caractérisée par une galerie de personnages légèrement psychotiques, balises troubles des normes contemporaines et aux comportements souvent illogiques pour mieux accentuer la bizarrerie voulue du texte.

C'est par exemple un couple de tueurs homosexuels qui, lorsqu'ils ne brisent pas à la masse le corps d'une infirmière (après l'avoir violée, avant de la couler dans du béton), organisent d'intenses parties de morpion sur les tables d'un aéroport et parlent d'adopter un enfant.
C'est aussi une femme d'affaire nymphomane, gérante d'un théâtre clandestin où des hommes sont torturés devant un public sélect, leurs corps nus arrosés d'essence et l'allumette pour les immoler vendue au plus offrant dans l'assistance.

C'est surtout Arnold Benedict, homme de l'ombre retors, obsédé par les substances microbiennes et collectionneur maladif de choses rares. Arnold Benedict qui semble manipuler TNT et qui connaît par ailleurs la signification du mot "Octobre" - fil rouge du roman, élément de mystère habillement mis en place, surprenament résolu et offrant à Tony Nicholas Twin un relief salutaire.

En de très nombreux points, Les Sept Cercles est donc un roman brillant, ciselée comme de la dentelle pour mecs et regorgeant de détails savoureux, à l'image du chiffre 7, caché dans de nombreux recoins du texte :
Les 7 circonvolutions de la cible tracée sur une plage avant l'explosion initiale, les 7 compagnies pétrolières qui tirent les ficelles, les 7 aventuriers lancés par Arnold Benedict à l'assaut des 7 protections du blockhaus de Michelangelo Piran - point d'orgue du roman, segment final d'une découpe en 3 parties (la création de TNT, l'évasion de TNT, la mission de TNT) et visant, de par son périple fou, aux limites de l'hallucination, à mettre en valeur les incroyables facultés de ce Doc Savage français.

Les sept cercles de l'enfer deviennent alors un donjon morbide dont vous seriez le héros, panorama d'une imagination diabolique mélangeant tortures corporelles et aménagement d'intérieur.
Cuves d'acide, jardins empoisonnés, couloirs métalliques électrifiés, souffleries détraquées, escaliers en lame de rasoir - jusqu'à l'apothéose : le dernier cercle et ses femmes encagées, débiles mentales sexuellement dérangées. Je n'en dis pas plus. C'est un circuit dantesque, un jeu de l'oie baroque rappelant les futurs délires de Serges Brussolo.
TNT réussi d'ailleurs tout ce que la série Destroy ne fera qu'effleurer 25 années plus tard : espionnage excentrique, super-héroïsme saugrenu, pulp mutant post moderne...
...littérature d'avant gare !
"Comment dites vous qu'il s'appelle ?" demande un officiel gouvernemental, page 207, "TNT ?"
"On ne pouvait rêver mieux
."

TESTOSTÉRONE FLEUVE

L'HOMME DE LA MAFFIA, FRED NORO
FLEUVE NOIR ESPIOMATIC # 72, 1976

A ma connaissance, Zac est le premier exemple d'une tentative aux éditions du Fleuve Noir visant à concurrencer Gérard de Villiers sur le terrain des fictions pour durs de chez durs, les romances machistes à l'américaine, les bouquins avec poulettes dénudées et/ou sur-armées en couvertures et récits aussi burnés que simplistes à l'intérieur - ce mélange d'action brutale et de polar débile dont je vous rabâche les globes oculaires depuis quelques temps, ces 220 pages de massacres musclés, d'astiquage de calibre et de bravoure sanguinolente mettant élogieusement en scène l'habituel franc tireur à personnalité interchangeable, le mercenaire aussi stoïque qu'une borne kilométrique, l'amateur de gros calibres partisan d'un phrasé lapidaire se résumant à du "tous des lopettes" bien senti.

Ainsi présenté, c'est foutre alléchant, je trouve, mais confronté à L'Homme De La Maffia, cinquième (et dernier ?) volume de la série Zac, c'est une toute autre affaire.
Peut être est-ce la faute à Fred Noro, bien connu des lecteurs d'espionnage et qui, perdu entre la pornographisation obligée des échanges sentimentaux, les concours de gros bras et ses objectifs personnels, peine à véritablement dynamiser son sujet. Peine surtout à aller à l'essentiel.
Car où sont les ingrédients primordiaux du genre ? Où sont les grosses armes à feu qui pétaradent en masse et qui ravagent façon hachi-parmentier les salauds d'en-face ? Où sont les fusillades, les courses poursuites, le body-count ultra-conséquent ?
L'Homme De La Maffia manque d'action. C'en est presque cruel. Surtout qu'au rififi sanguinolent de la prose virile, notre auteur préfère des éléments de suspense habituellement absents des productions pour mectons. En résulte une suite de petits mystères qui n'aurait pas dépareillés dans un Spécial Police des années 60 mais qui, accolés aux pulsions crétines et burnées de ce sous-Exécuteur Fleuve Noirisé, sonnent fichtrement creux.
Car malgré ses petites prétentions de thriller (machinations, retournements et révélations), et malgré le très relatif talent d'écrivain déployé par Noro, L'Homme De La Maffia reste façonné comme un bouquin d'action crétin, usiné par un crétin pour des crétins, avec un baroudeur crétin qui dézingue du pourri crétin dans des parkings mal-éclairés - le problème, véritablement, c'est que L'Homme De La Maffia s'imagine plus subtil qu'il ne peut l'être, rate donc sa cible, devient en quelque sorte le parfait exemple du roman de gare qui, en rechignant à simplement honorer son contrat de littérature commando, déçoit les attentes pourtant pas très brillantes de son lectorat potentiel.
Dommage.


SUPER-TUEUR, JACQUES COLOMBO
FLEUVE NOIR / DON # 11, 1986

Cette fois, par contre, je ne suis pas déçu. C'est tout le contraire. Je suis heureux. Super-Tueur, onzième et dernier volume de la série Don, est un bouquin aussi stupide qu'enthousiasmant, aussi aberrant que plaisant.
Disons le simplement, Super-Tueur est un magnifique ramassi de conneries mises bout à bout et sans aucun questionnement quant à la validité de l'ensemble. Le bonheur mongoloïde fait littérature de masse.

Pourtant, j'avoue, je n'en attendait pas tant de la part d'Henri Vernes - oui, oui, Henri Vernes, LE Henri Vernes, ici caché sous le pseudonyme de Jacques Colombo.
Une sage décision, fort compréhensible à la lecture du délit. Assumer un tel rejet et continuer sa carrière impunément, ce n'est pas possible. Surtout que Don, ce n'est pas vraiment Bob Morane. Ou alors Bob Morane, mais le samedi soir, très tard, sur Canal +, et aux fluctuations cryptées parasitant vigoureusement un film d'action inspiré des œuvres complètes de Don Pendleton.


En effet. Avec Don, Colombo / Vernes donne dans le sous-Executeur à forte tendance érotique. Rien de nouveau sous le soleil. Il y a un héros inflexible et des vilains mafieux qui se font impitoyablement dessouder.
Le héros inflexible, c'est Don, alias John King, fils du capo di tutti capi et kiki, pardon, qui, en dépit de ses origines, a déclaré la guerre à la Mafia. Probablement des restes de sa crise d'adolescence. Enfin, on s'en fout. Je continue.
Donc, notre héros est traqué par tous les tueurs de l'organisation à papa. Sa tête est sous contrat mais notre homme étant un véritable héros inflexible, le super-male dans toute sa splendeur, rien ne peut l'atteindre... ou presque !
Car Don possède un point faible. Jacques Colombo nous l'écrit page 61 : "
Il ne pouvait pas se passer facilement de femmes. Un des seuls défauts à sa cuirasse. On lui avait dit un jour que ses couilles le perdraient; elles avaient déjà failli le perdre plusieurs fois."
Et en effet, si je puis me permettre, ce sont bien les couilles qui perdent, non seulement notre héros inflexible , mais aussi l'écrivain de ses aventures puisque, totalement obnubilé par les possibilités supra-coïtales de son script, il en oublie définitivement le reste de l'édifice.

Ainsi, dans Super-Tueur, Don est censé combattre un cyborg meurtrier, sorte de Terminator invincible et sadique lancé à ses trousses par la mafia. On s'imagine une confrontation dantesque. On a tort. Niveau action, le Super-Tueur est au point mort. Un vrai cancre que l'auteur s'ingénie à faire passer pour un crac. Par contre, pour ce qui est de la baise, c'est du corsé. Au lieu de remplir sa mission bien sérieusement comme il faut, notre robot criminel passe en effet la majeure partie de ses chapitres à tenter de violer de la poulette de petite vertu - petitesse par ailleurs largement compensée par la grosseur des attributs mammaires indécemment exposés.
Couplé aux frasques de Don, héros inflexible qui, lui aussi, ne cherche finalement qu'à se soulager en trempant son super-biscuit dans du voluptueux réceptacle féminin, et t'as une idée assez nette du tableau qu'Henri Colombo nous propose. L'ensemble atteint d'ailleurs les cimes du grotesque dans un final qui voit l'auteur bâcler la confrontation entre Don et le Super-Tueur pour mieux se concentrer sur les accouplements suggérés entre une prostituée aux "
merveilleux seins roides, sans la moindre ptôse, presque trop volumineux pour le reste de son corps" et deux dogues allemands amoureusement surnommés Tim et Tom.
Oui, Don, ce n'est définitivement pas du Bob Morane.
Et c'est tant mieux !

PENETRATORATION !

Au premier abord, pour le lecteur pas trop au fait des codes intrinsèques à la littérature burnée des années 70 et 80, The Penetrator passera pour un décalque peu scrupuleux de l'Exécuteur.
Il faut d'ailleurs bien avouer qu'au premier abord, et à une ou deux exception près, toutes les séries pour mecs peuvent se ressembler.
Toutes arborent en effet la même parure, celle du western urbain et moderne, sorte de polar dépouillé de tout artifice narratif, réduit à ne plus être qu'un divertissement produit en série et empilant sans vergogne fusillades sur autoroutes, guérilla en centres commerciaux, poursuites en hélicoptères, explosions en tout genre et immeubles qui s'effondrent.
Les héros sont, bien évidement, des para-militaires sur-armés, sur-entrainés et super-énervés. Des gars chatouilleux qui dézinguent du truand, du trafiquant de drogue, du mafieux, du gauchiste, de l'immigré et du violeur comme d'autres font leurs courses le samedi après midi en zone industrielle.
Ça flingue non stop, sans aucune velléité de suspense. Les cadavres s'accumulent. Après s'être farci une bonne deux-centaine d'hommes de main et avoir finalement dessoudé le big-boss de l'histoire, un politicien véreux ou un industriel cupide, fifty-fifty, nos héros s'en vont enfin. Seuls et repus de justice, ils se dirigent alors vers d'autres horizons, vers de nouvelles aventures, le soleil couchant plaquant en un ultime paragraphe leurs lugubres silhouettes sur le sol sanglant de ce qui fut leur théâtre des opérations 220 pages durant.


Cette accumulation de règles, de scènes codifiées à l'extrême, de récurrences stylistiques et thématiques propre aux littératures d'abattages, Mark Hardin dit The Penetrator y répond en tout point - jusque dans ses origines, parfaitement conformes au mythe institué par la série de l'Exécuteur :
Vétéran du Vietnam, tireur d'élite et expert en tout ce qui fait mal. Tente de mener une vie normale en Californie mais sa petite copine est tuée par la mafia du coin. Mauvais plan, ça. Notre homme est un dingue de la gâchette. En un volume (Cible H Comme Héroïne, premier épisode de la série, paru en 73, traduit en 80), il élimine l'intégralité des membres de la maison ritale régionale. 220 pages de mafiosi explosés pire qu'au stand de tir. Un furieux carnage à faire passer Mack Bolan et Robert The Exterminator Ginty pour de paisibles amateurs dopés aux émissions de chasse et pêche dominicale.
Et c'est en cela que The Penetrator se démarque véritablement de l'Exécuteur.
Il est bien plus improbable.
Pour trois raison.


Primo, tout ce que le héros de Don Pendleton peut faire, Mark Hardin le fait en mieux, plus vite, plus violemment, avec plus d'humour et, surtout, plus de fantaisie. Les couvertures US des éditions Pinacle affirmaient d'ailleurs "Aussi excitant que l'Exécuteur ! Aussi moderne que l'Implacable ! Aussi mortel que le Boucher !"
The Penetrator est une série qui surjoue constamment.
Plus d'explosions ! Plus de morts ! Plus d'armes !

Mack Bolan utilisait un Beretta, quelques explosifs et une Weatherby .460 ? No problemo ! Mark Hardin y rajoutera un AK-47, un pistolet mitrailleur M-1921-A-1, un M-38, un Uzi, un fusil Tokarev M-42, divers mortiers, un lance-grenade M-79, des lance-roquettes, un canon sans recul, un M-16, un .45 Commander et un pistolet chimique de sa confection... entre autres choses.

Il en va de même pour les descriptions. C'est le deuxième point. Car si les séries pour mecs se définirent par une imagerie porno de l'arme à feu, The Penetrator poussa les détails jusqu'à atteindre une gynécologie de l'armurier fou.
"Cette merveille crachait 450 projectiles à la minute, ce qui signifiait 12 150 plombs de calibre .28 frappant en éventail" nous affirme l'auteur au sujet d'un fusil à chevrotine à l'armature M-180.
Vous y pigez quelque chose ? moi non plus. Mais la beauté de mathématiques et les dénominations cryptiques remportent l'adhésion - surtout lorsqu'elles se retrouvent combinées avec l'autre marque de fabrique du style Penetrator : les trajectoires d'impact ultra-détaillées.

"La première balle de Mark perfora un trou presque invisible sur le devant du sweater de jersey rouge de Marla. En dessous cependant, il opéra de plus grands ravages en creusant son chemin à travers un sein imposant et bien formé, puis en s'aplatissant et en dépensant son énergie contre une côte. Le choc hydrostatique provoqué par le projectile fit éclater le tissu pulmonaire et de petits vaisseaux sanguins, noyant les voies respiratoires d'un liquide carminé."
pas mal, non ? Et ce n'est pas fini !
"La seconde balle traversa le verre épais des lunettes et fit éclater au passage un œil vert comme un melon trop mûr avant de parvenir dans la cavité cervicale. [...] Le projectile continua sa course en déchirant les tissus qui ne formèrent plus qu'une bouillie, puis changea de direction en tentant une sortie par le mince os de la tempe, mais il stoppa là, juste sous la peau."
Pour autant, il ne faudrait pas réduire The Penetrator à un amoncellement d'énumérations meurtrières, de précisions techniques et de constatations barbares visant à enterrer l'Exécuteur sur le terrain de la surenchère charcutière.
The Penetrator, et nous en arrivons à notre troisième et dernier point, donne aussi de la bande dans un genre bien plus léger et surtout bien plus haut en couleur que les habituels romans de justiciers vigilantistes en hall de gare, les Narc, les Cash, les Mercenaire, les Marchand de Mort, les Dan Curtiss, bref, tous ceux qui mélangeaient allègrement le hardboiled de papy Spillane aux défouloirs guerriers de la littérature militaire.

Ici, les méchants ne sont pas toujours des mafieux, des espions ou des truands.
On trouve aussi des savants fous, des apprentis maitres du monde, des sectateurs sanguinaires, des pirates anachroniques, des gangs raciaux, des militaires de républiques bananieres. La folie monte crescendo, d'épisode en épisode.
Malheureusement, l'importation française (merci Fleuve Noir) s'arrêta en 85 avec le numéro 24 - Le Cauchemar Venait Du Froid - l'histoire d'un ancien proxénète congelant des nanas à gros lolos pour les vendre au plus offrant.
Pas vraiment le genre de scenario que l'on pourrai lire dans un Exécuteur, n'est-il pas ?
Et c'est un peu ça, The Penetrator.
C'est invraisemblable, couillu, distrayant et légèrement débile. Lionel Derrick, l'auteur bicéphale de la série, officie dans le campy pleinement assumé. Je dirais même plus qu'il est à Don Pendleton ce que Richard S. Prather était à Mickey Spillane : le petit rigolo qui faisait exactement la même chose mais en y rajoutant de larges rasades d'une cool-attitude ultra-débonnaire et toutes les idées les plus stupides qui pouvaient lui passer par la tête.

D'ailleurs, si Mack Bolan tient de Mike Hammer dans ses excès de violence et son pathos à gogo, Mark Hardin ferait plutôt penser, non seulement à ce brave Shell Scott (la série polar de Prather, traduite concomitamment aux Presses Internationales et en Série Noire) mais surtout aux pistoleri de la littérature western des années 50 et 60, ceux des romans de Ray Hogan par exemple - des gars simples, nonchalants, aussi naïfs que les textes dont ils sont les acteurs, défendant la veuve et l'orphelin à coups de colt et ne ratant jamais leur cible...
Bref, Mark Hardin, c'est le héros américain dans toute sa splendeur.
Infaillible, valeureux, légèrement hors la loi et aux passions aussi étoffées que le papier cigarette avec lequel il roule ses clopes.

ELVIFRANCE : MAT-CHO # 8 & 11 (1987)

en 1985, le monde tremblait sous les buuuuaarrgs retentissant du grand Sly Stallone. Lippe asymétrique, muscles ruisselants de sueur, fusil mitrailleur au poing, cartouchière calée au poignet et bandeau rouge autour du front, notre homme dépeuplait les campagnes vietnamiennes et atomisait de l'hélicoptère en pagaille pour le plus grand plaisir des ahuris friands de virilité militarisante.
Ce fut aussi l'époque qui vit la Edifumetto lancer la série Jeff Raimbo, variation en petit format N&B des exploits de devinez qui.
En France, la série fut bien entendu traduite par Elvifrance et parue dans le mensuel Mat-Cho en compagnie d'une seconde franchise ritale pas piquée des hannetons : Macho, soit les aventures d'un motard inverti défenseur du veuf bien roulé et de l'orphelin consentant. Un sacré coco qui nous fait douter quant à la virilité affichée de cette publication.
Je veux dire : j'achète un petit format avec en couverture un faux Rambo qui se tape des gonzesses tout en butant du musulman extrémiste ou du communiste pas sympa et, passé la page 105, ne voila-t-il pas que je me retrouve avec les aventures d'un Frank Zagarino ayant viré de bord, déguisé en Village People et qui, entre deux bastons façon Terrence Hill et Bud Spencer, se fait entretenir la robinetterie par des jeunots du même sexe que lui !
Ouais, ouais...
N'empêche, tout ça, c'est pas super viril, je dis.

DÉTOURNEMENT DE TEXTE

CHEIKH SANS ÉMISSION, ROGER VLIM
PROMODIFA / CRAC #30, 1977

Dès les premières pages, et passé un prologue inutile, j'avais comme une sensation de déjà lu - sensation qui se précisa très rapidement.
Ce Cheikh Sans Émission, signé Roger Vlim, pseudonyme de Roger Vlatimo, je l'avais en effet déjà lu. Pas sous ce titre, naturellement. Et pas en collection CRAC (super intitulé, n'est-il pas ?) des éditions Promodifa. Il s'agissait plutôt d'un roman de Gil Darcy - Luc Ferran Défie Le Diable - écrit par Vlatimo himself et publié dix ans plus tôt aux éditions de l'Arabesque.


L'original débutait par le procès à ciel ouvert d'un ingénieur français, Robert Larreu, accusé par les autorités marocaines d'avoir provoqué l'effondrement d'un barrage.
"Cette accusation d'incompétence ulcérait plus Larreu qu'elle ne l'indignait. En bon Toulousain, il avait le sang chaud et la tête près du bonnet. Il dut faire un effort pour ne pas exploser."
Retiens toi mon gars, retiens toi, la cavalerie est là. Car l'état français, flairant une grosse magouille sous cette embrouille, envoyait Luc Ferran clarifier la situation, c'est à dire : combattre pleins de méchants arabes, rencontrer trois jolies jeunes filles et dédouaner Larreu en démantelant le réseau criminel d'un vil Cheikh nommé El Chitan et qui, avec l'aide d'une bande de sales indépendantistes nord-af' montés sur un terraplane dernier cri, terrorisait les autochtones du coin.


Dans la version Promodifa, c'est tout pareil ... à quelques variations près. Vlatimo racourcit son texte ("Larreu dut faire un effort sur lui-même pour ne pas exploser. En bon Toulousain, il avait le sang chaud et la tête près du bonnet."), remplace Luc Ferran par un certain Patrice Saint-Clair (une référence au Magnifique peut être ?) et effectue du hors-piste pour caser les scènes de sexe - scènes de sexe par ailleurs assez rares, fort courtes et diantrement prudes.
Je donne les chiffres pour vous édifier :

2 accouplements et demi, dont un semi-viol et une danse du ventre, l'ensemble cumulant au total moins de 7 pages de texte et sans aucuns de nos termes porno-retro favoris. Le lecteur pervers en sera pour ses frais.
Pas de verge turgescente, pas de fente humide, pas d'imposante dague de chair pourfendant le moite fourreau d'une femelle aux abois, non, tout juste quelques vertiges sensuels, quelques désirs enfièvres et beaucoup, beaucoup, beaucoup d'ellipses.

UNE HONTE !
Il en est de même quant à la virilité du bouquin. Cheikh Sans Émission a beau se trouver publié en 1977 chez Promodifa, il n'en reste pas moins qu'il s'agit du léger remaniement d'un texte paru à la fin des années 60 aux éditions de l'Arabesque. Malgré ses retouches à la truelle, ça ressemble donc plus à de l'espionnage médiocre qu'à de la fiction couillue et débile pour amateurs de poupées girondes, de gros flingots indescement exhibés et de massacres en chaine sur fond de bande son héroïque, synthés sentencieux et drum-kits en folie.

En bref, une mauvaise pioche, tout juste sauvée (dans mon cas) par la constatation que Roger Vlatimo, en recyclant ses vieux textes pour produire de nouvelles saloperies, se montrait tout aussi filou et amusant qu'un André Guerber ou un R-G Mera.
Mais en ce mois d'Avril thématique, c'est quasiment du hors sujet.

DE LA DROGUE, DES GROS FLINGUES ET DES NANAS

LA LISTE ROUGE, ROBERT HAWKES
ALLER SIMPLE POUR CHINATOWN, ROBERT HAWKES
PRESSES DE LA CITÉ / NARC # 3 & 6, 1975

Tout comme les S.C.U.M. de David Rome, présentés par Paul Kenny histoire de rassurer l'acheteur, les Narc de Robert Hawkes, série américaine importée en 1975 par les Presses de la Cité, furent labellisés (et sous toutes les coutures : couv', 4eme de couv', pages intérieures) en "Sélection Bruce". On y retrouvait même Josette, veuve éplorée reconvertie en paravent pour écrivains anonymes, et qui nous y affirmait vigoureusement :
"Vous aimez OSS 117 ? Alors vous aimerez Narc !"
...ce qui, en soi, n'est pas tout à fait exact...


Car John Bolt, le héros de la série Narc, n'a pas grand chose à voir avec notre Hubert Bonisseur national. Agent du bureau des Narcotiques section D-3 (pour Département des Drogues Dangereuses - possiblement un pléonasme, faudrait en discuter avec Timothy Leary...), John Bolt ressemble bien plus à l'accouplement ultra-viril entre Dirty Harry et Charles Bronson qu'à un avatar sexy et twist de Pierre Nord.
John Bolt, pour t'en faire sa présentation du mieux que je le peux, c'est un gars qui ne parle (presque) pas, qui considère tous les politiciens comme de sales enflures arrivistes qu'il faudra bien un jour ou l'autre exterminer et qui, dans la masse des héros machos de la littérature pour mecs des années 70 et 80, ne se distingue que par deux petites caractéristiques : une cicatrice barre son front en diagonale et son arme favorite est un colt .45 ACP Commander, "un automatique d'une telle puissance qu'il suffit d'une balle tirée dans n'importe quelle partie du corps pour mettre un homme hors combat"
En gros, il te tire dans la jambe, il te l'arrache.


Et ça résume plutôt bien la série. Ici, on va pas chercher midi à quatorze heure. Ou alors, on fait péter quatorze heure et la question est réglée.
Narc, c'est du 160 pages sans fioriture ni suspense. Il y a un méchant, qui fait des saloperies, et il y a John Bolt qui, 20 chapitres durant, va chercher à l'exterminer. A la fin, forcement, il y arrive. Entre temps, pour ne point faire tartir le lectorat, il y a des hommes de mains qui se font vilainement éclater leurs 36 points d'articulations respectifs, geysers de sangs, morceaux d'os et de cervelles qui éclatent, se dégorgent, se déversent et se répandent sur les murs des quartiers chauds des villes américaines, décors imposé par le genre.

Parfois, bien entendu, ça se passe aussi à l'extérieur des états unis, comme dans La Liste Rouge, troisième volume de la série, un épisode qui nous présente, quelques chapitres durant, un Paris peuplé de truands corses pédérastes. Mais où vont-ils donc chercher tout ça ? Peu importe. Les pauvres bougres ne font pas long feu. John Bolt les explose en deux paragraphes montre en main et le reste du roman patine entre romance mal digérée et pulp endormi.

Du coup, on préfère Narc lorsqu'il se cantonne au territoire de l'oncle Sam, comme dans Aller Simple Pour Chinatown, sixieme épisode, plutôt bien foutu par ailleurs et dans lequel Bolt fait face à une bande (mal) organisée de chinetoques fondus de kung-fu, d'opium et d'explosifs et qui acheminent en territoire américain de l'espion maoïste (pour le compte du gouvernement US libéral) et de la drogue discount (pour la mafia ritale). La confrontation donnera lieu à une suite quasi-effrénée de fusillades et d'explosions façon l'Exécuteur mais n'empêchera pas non plus notre fier vengeur moderne de se poser quelques sérieuses questions quant à sa vie de baroudeur extreme dans un beau monologue intérieur à la troisième personne du singulier, petit bijou d'introspection musclée que je me permets de vous citer :
"Devait-il rester au Département ? Devait-il continuer à se faire tirer dessus et à plonger dans cette boue puante qu'était le monde de la drogue ? Ne valait-il mieux pas laisser tomber, prendre une femme, comme tout le monde, se trouver un petit travail tranquille et jouir en paix de ce qui lui restait de sa jeunesse ? Il frissonna. Une fois de plus, la réponse était non. Le jour où il se recaserait, ce serait pour ouvrir un hôtel dans une station de sport d'hivers, en association avec une nymphomane."
Comme quoi, ce n'est pas parce qu'on est foutrement viril qu'on ne se pose pas non plus quelques questions existentielles.

AU DESSUS DU TOP !

LA VARIOLE ROUGE, DAVID ROME
FLEUVE NOIR / SCUM # 1, 1986

En matière de testostérone littéraire, je ne connais rien de plus viril qu'un roman de Joël Houssin période Fleuve Noir et (pour continuer dans ce registre) en matière de Joël Houssin, il n'existe rien de plus dopé aux stéroïdes que ses six romans d'action signés David Rome, parus au Fleuve Noir entre 86 et 88 et mettant en scène le groupuscule politiquement malpoli du S.C.U.M., le Special Commando Unlimited Mission (vive les acronymes rigolos !), "le commando le plus cher, le plus redoutable et le moins contrôlé de toutes les unités anti-terroriste," soit une belle brochette d'affreux, de barbouzes ultraviolentes et de francs tireurs déjantés, tous foncièrement sans foi ni loi et n'hésitant devant aucune outrance, aucune saloperie, aucun carnage pour atteindre leurs buts.
"Ils ont le vice et la pourriture dans la peau" balance la quatrième de couverture de La Variole Rouge, premier (et meilleur) tome de la série, à la fois roman d'action ultime opposant le S.C.U.M. à une bande de néo-nazis et super-générique de 200 pages permettant à Houssin de présenter en overdrive puissance maximum, pied au plancher et cheveux au vent, la quasi-intégralité de son casting d'enflures internationales.

Tout d'abord : le lieutenant-colonel Fairfax, sniffeur de chnouf et amateur de "jeunes éphèbes," dandy désabusé servant d'intermédiaire entre le S.C.U.M. et les divers agences gouvernementales susceptibles d'en acheter les services.
Ensuite, notre héros : Mark Ross, chef du S.C.U.M.
, ancien polytechnicien devenu acteur de théâtre porno le week-end et exterminateur ramboïde la semaine. Combinaison aussi stupide que jouissive.
S.C.U.M. fleure bon le mauvais goût années 80. On imagine les coiffures peroxydées des figurants, les cascades d'arpèges synthétiques, les voitures de sport grand-luxe qui explosent, les scènettes porno en papier glacé. On imagine une illustration de Melki et le reste du groupe est à l'avenant. Psychologie de film d'action et caractères grossièrement taillés dans la masse, façon garçon-boucher de la fiction pour mecs.

On y trouve Laeticia Vecci, l'espionne nymphomane ("alors salope, [...] toujours le feu au cul ?") et Tran Phan Thi, l'assassin vietnamien super-silencieux.
On y trouve aussi un hooligan nazillon amateur de rif' dans les stades, les frangins Sig Sauer - flingueurs sauvages debarquant assez tardivement dans ce volume ("à eux deux, ils développaient à peu près la puissance de feu d'un bombardier lourd") - et Kevin Sarto dit l'empalmeur, joueur de carte châtré par des arabes et leur vouant une haine féroce.
D'ailleurs, pour persuader ce dernier à venir bosser pour le S.C.U.M., Mark Ross lui déclare, p. 53 : "si tu travailles avec moi, j' te promets qu'on ira casser du raton. Un jour ou l'autre..."

Andrevon, qui considérait déjà Blue comme un roman à l'idéologie douteuse, a dû s'étrangler en lisant ça. On peut comprendre. Houssin maquillé en David Rome, ce n'est pas pour les engourdis du palpitant. Ni pour les caves qui peinent à lire entre les lignes
("en littérature, on a des scrupules à faire parler les personnages avec des termes injurieux tels que 'bougnoule'. On [en] arrive à lisser les textes, les scénarios, à s'auto-censurer, et cette politique n'a jamais fait flechir quoi que ce soit." entretient avec Joël Houssin, Bifrost # 52, 2008.)


Pour le reste, le bouquin fonctionne comme un jeu d'arcade - forme narrative simple et vigoureuse déjà employé par notre auteur sur certains de ces Anticipation, sublimé avec Game-Over et à l'urgence exacerbée par une situation de crise alarmante.
Ainsi, dans La Variole Rouge, les gars du S.C.U.M. ont trois terroristes à neutraliser avant qu'un virus mortel ne se répande sur l'Europe. Le niveau de difficulté augmente de chapitre en chapitre et chaque terroriste peut faire office de boss de fin de niveau - le dernier étant bien entendu le plus redoutable.

Comme toujours chez Houssin, le rythme est implacable et le phrasé, nerveux et tranchant, se trouve légèrement mâtiné d'un argot rappelant la sècheresse et la noirceur d'Auguste Le Breton.
D'ailleurs, si le Doberman, l'autre série à succès de Houssin, refaisait Du Rififi Chez Les Hommes à la sauce Jacques Mesrine sous-amphet', S.C.U.M. peut être considéré comme une version sauvagement burnée de SAS, lancé à toute berzingue sur l'autoroute du feuilleton machiste et télescopant dans sa course folle toute la cohorte des déficients mentaux sur-armés, sur-musclés, sur-couillus que l'industrie du divertissement littéraire et cinématographique produisait par centaine à l'époque.
Le résultat est d'autant plus exceptionnel qu'aucune autre série d'action ne lui arrive à la cheville.

S.C.U.M. va vite, très vite. Si vite qu'il ferait même passer Don Pendleton et ses suiveurs pour de minables scribouillards de romances pour vieilles filles. Cela n'a rien d'étonnant. Il s'agit d'une production Joël Houssin, l'homme pour qui il n'était jamais trop tard pour aller trop loin.
Avec La Variole Rouge (tout comme avec son deuxième Gore et ses cinq autres S.C.U.M.), il est d'ailleurs allé si loin dans la littérature populaire qui claque et qui fonce que personne ne peut espérer un jour le rattraper.
Avis aux amateurs.

AVRIL VIRIL !

En avril, sur le Muller-Fokker - et parceque nous sommes de solides gaillards, j'ai même envie de dire qu'on est des gonzes foutrement bien constitués, des gars membrés comme des dieux barbares, du certifié maximum viril sur pattes et élevé au grain, certainement pas du mecton discount, de l'ahuri fleur-bleue, de l'intello pusillanime qu'aurait les pruneaux d'Agen dans les chaussettes et le cervelet tristement hypertrophié à force de se la toucher en collection pléiade, bref, parce qu'on est bien dur de partout et qu'on partouse les trous pire qu'une ruée de bœufs en rut dopés à la coke de tonton de Villiers, on va causer testostérone littéraire.
AVRIL VIRIL !
(...en caps-lock, forcement, on est des hommes, merde !)

Ce sera donc toute cette affaire hérité à Mickey Spillane, George Maxwell ou Auguste Le Breton et appliquée aux romans de gare des années 70 et 80, revitalisés à coup de guerres tactiques et de justiciers des villes.
Ce sera ces bouquins de mecs qu'en ont dans le froc, heavy-metal plein tube et concours de muscles entre veterans du vietnam reconvertis camionneurs. Ce sera les belles-lettres militaristes et machistes, puissamment branlées comme une opération commando et prônant la pornographie de la puissance de feu et des armes blanches comme unique structure narrative.

Le blitzkrieg des paragraphes, la guérilla urbaine martelée par le clavier d'une underwood.
Sûr, ça ne plaira pas à tout le monde. Les femelles se sentiront flouées, les lecteurs du Poulpe, cette bande de moluscophiles mous de l'idéal, hurleront à l'imposture fasciste et les mecs de droite, eh bien, les mecs de droite, comme ils ne surfent pas sur les courants digitroniques des internets (bien fait pour eux !), on sera entre nous - moi, mon keyboard et mon écran - et ce sera maxi-choucard.
On causera de Don Pendleton, de L'Implacable, du Penetrator, du Marchand de Mort, du Mercenaire, de Joël Houssin lorsqu'il trifouillait dans le genre sous le pseudonyme de David Rome, de Zac, de Narc, de TNT, d'un chanteur populaire devenu scribouillard de sous-SAS, du toujours très distingué Serge Jacquemard, de l'incontounrable Gerard Cambri et, bien entendu, des productions Promodifa, joyaux d'un genre mort avec son public, l'homo-maximus supremissimement superbe :
L'HOMME, LE VRAI
, CELUI QU'EN A DANS LE B
ÉNARD ! (n'est-ce pas poulette ?)

Bref, en avril, ne te découvres pas d'un fil... MON CUL !

Les gonzesses : à poils, les gars : au garde-à-vous ! ET QUE ÇA SAUTE !
(mais pas demain, demain, je décuve)